Alain Delon

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Alain Delon
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Alain Delon lors du tournage de Plein Soleil
de René Clément, à Rome (1959).
Nom de naissance Alain Fabien Maurice Marcel Delon
Naissance
Sceaux (France)
Nationalité Française
Suisse (à partir de 1999)
Décès (à 88 ans)
Douchy-Montcorbon (France)
Profession Acteur
Réalisateur
Producteur
Films notables Voir filmographie
Séries notables Cinéma
Fabio Montale
Frank Riva

Alain Delon est un acteur, réalisateur, chanteur et producteur franco-suisse, né le à Sceaux (Seine) et mort le à Douchy-Montcorbon (Loiret).

Figure emblématique et icône du cinéma européen, il est l'un des acteurs français les plus célèbres, représentatifs et influents, tant en France qu'à l'étranger.

Révélé par Plein Soleil (1960) de René Clément, qui le propulse au rang de sex-symbol, Alain Delon enchaîne avec Rocco et ses frères (1960) et Le Guépard (1963). Ces deux chefs-d'œuvre de Luchino Visconti consacrent la renommée internationale de l'acteur français. Devenu une star mondiale, Delon est courtisé par Hollywood, mais ses expériences américaines, peu concluantes, le poussent à renoncer à une carrière outre-Atlantique. Il incarne ensuite l'archétype du polar français, interprétant des personnages froids et énigmatiques dans des films tels que Mélodie en sous-sol, Le Samouraï, Le Clan des Siciliens, Le Cercle rouge, ou Un flic. Son jeu intense et épuré, marqué par une sobriété captée et sublimée par Jean-Pierre Melville, influence plusieurs générations de cinéastes et de stylistes[non neutre].

Son éclectisme l'amène à explorer des genres variés : le mélodrame avec La Piscine, le drame avec L'Éclipse, le film historique avec Monsieur Klein, le film d'aventures avec Les Aventuriers, le film politique avec Deux Hommes dans la ville, le western avec Soleil rouge et Zorro, ou encore le thriller psychologique avec Le Professeur. Dans les années 1980, Delon poursuit sa carrière au cinéma tout en se tournant davantage vers la réalisation et la production. À partir des années 1990, il fait des apparitions ponctuelles, comme dans Une chance sur deux, où il retrouve Jean-Paul Belmondo, son rival et complice à l'écran depuis Borsalino, ou encore dans Les Acteurs (2000), où il est invité par Bertrand Blier à jouer son propre rôle d'acteur mélancolique. Son apparition dans Astérix aux Jeux olympiques (2008) marque l'un de ses derniers rôles au cinéma, où il joue avec autodérision sur sa propre image.

Parallèlement au cinéma, Delon mène aussi une carrière à la télévision, avec des séries et téléfilms à forte audience (Fabio Montale et Frank Riva).

Les films auxquels il participe attirent plus de 136 millions de spectateurs en France, auxquels s’ajoutent plusieurs dizaines de millions d’entrées à l’étranger. Plusieurs de ses œuvres comptent parmi les plus grands succès du cinéma français et italien, tant sur le plan critique que commercial, et Delon demeure l’un des acteurs français les plus reconnus à l’international. Ce succès repose notamment sur la qualité des réalisateurs (Michelangelo Antonioni, Jacques Deray, Georges Lautner, Joseph Losey, Henri Verneuil), et des partenaires artistiques (Claudia Cardinale, Jean Gabin, Annie Girardot, Burt Lancaster, Romy Schneider, Simone Signoret, Lino Ventura) avec lesquels il collabore. Il obtient de nombreuses récompenses dont le César du meilleur acteur en 1985 pour son rôle dans Notre histoire et une Palme d'honneur lors du festival de Cannes 2019 pour l'ensemble de sa carrière.

Biographie

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Origines, enfance et adolescence (1935-1953)

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La famille Delon

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Alain Delon bébé en 1936.

Alain Fabien Maurice Marcel Delon,, naît le , à 3h25, à Sceaux, dans l'ancienne Seine (aujourd'hui Hauts-de-Seine). Il est le fils de Fabien Delon (1904-1977), projectionniste au cinéma Le Régina Palace de Bourg-la-Reine, et d'Édith Arnold (1911-1995), employée à la pharmacie Martin-Lavigne dans la même ville. Sa famille appartient à la petite bourgeoisie.

Les Delon sont originaires de Saint-Vincent-Lespinasse, dans le Tarn-et-Garonne, et leur lignée remonte à Jean Delon, né au XVe siècle. L'arrière-grand-père paternel d'Alain, Fabien Delon (Saint-Vincent-Lespinasse, - Figeac (Lot), ), ingénieur des ponts et chaussées, fut fait chevalier de la Légion d'honneur le . Sa grand-mère paternelle, Marie-Antoinette Evangelista (née en 1867 à Prunelli-di-Fiumorbo), d'origine corse, épouse le Jean-Marcel Delon, percepteur dans la même commune,. Selon Jean-Louis Beaucarnot, une légende familiale évoque un lien de parenté entre les Evangelista et les Bonaparte. Mais les jeunes mariés doivent quitter la Corse. Au fil des mutations, ils s'installent à Craponne-sur-Arzon (Haute-Loire), où naissent deux enfants : François Fabien — qui utilisera son second prénom — et Jeanne Lucidor..

Cette branche des Delon manifeste un goût marqué pour le mouvement. Fabien (le petit-fils) n'y échappe pas : il quitte l'Auvergne pour s'installer près de Paris, où il devient directeur de cinéma, alors en plein essor. Passionné par le cinématographe, il débute dans la production avant de se tourner vers l'exploitation. En novembre 1929, il participe comme administrateur au tournage du court-métrage Sans histoire, chargé de la gestion financière. Dépassé par les exigences techniques du cinéma parlant, il abandonne la production pour se concentrer à la diffusion. Le 17 juin 1935, au Plessis-Robinson, il épouse Édith Arnold, 24 ans, fille d'un cavalier de manège et d'une couturière. Le couple s'installe dans une modeste maison au 5 avenue Jules Gravereaux, à L'Haÿ-les-Roses, en proche banlieue parisienne.

Divorce, famille d'accueil, retour au foyer

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En 1939, Alain Delon a 4 ans lorsque ses parents divorcent, le 26 décembre 1940,. Cette séparation restera pour lui une blessure d'enfance jamais refermée. Ni son père ni sa mère ne se sentent alors capables de s'occuper de lui. François-Fabien Delon, mobilisé, exerce comme secrétaire militaire et se déplace fréquemment. Édith reprend son ancien emploi de préparatrice en pharmacie.

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Le jeune Alain grandit dans l'ambiance particulière de la prison de Fresnes.

Le jeune Alain est confié à une famille d'accueil, les Nérot, vivant rue de la Terrasse, près du centre pénitentiaire de Fresnes. Le père, ancien gardien, garde des liens avec ses collègues et leurs enfants. Alain grandit ainsi à l'ombre de la prison, jouant parfois dans l'une de ses cours. Les Nérot le traitent avec tendresse ; il les considérera comme ses parents adoptifs. Il évolue dans un foyer modeste mais affectueux.

Sous l'Occupation, la prison passe sous autorité allemande. La population carcérale change — résistants, opposants et futurs déportés — y sont internés, et les tortures comme les exécutions deviennent fréquentes. Les enfants ne peuvent plus y jouer librement.

Lors de la Libération de Paris, le , la division Leclerc contourne les positions allemandes en passant par Fresnes et essuie un feu nourri devant la prison, où les nazis ripostent ; le combat s'achève vers 19h. Alain, comme d'autres habitants, accourt pour saluer les soldats français. Peu après, les collaborateurs prennent la place des résistants dans les cellules. Le jeune garçon est marqué par l'exécution de Pierre Laval, fusillé derrière la prison, un événement abondamment commenté par les adultes.

Pendant ce temps, sa mère et les Nérot veillent à lui assurer un enseignement catholique, qui le conduit à faire ses deux communions. Interrogé sur son avenir, Alain répond sans hésiter : il veut devenir motard.

M. Nérot, épuisé par la guerre, meurt en 1946, bientôt suivi par son épouse, incapable de vivre sans lui. Alain se retrouve à nouveau sans repères, presque orphelin. Sa mère, Édith — surnommée Mounette — ne l'a jamais totalement abandonné et prend régulièrement de ses nouvelles. Remariée depuis le à Paul Boulogne, elle a eu une fille, Paule-Édith, née en 1943. Elle reprend Alain auprès d'elle, tout en le partageant avec son ex-mari Fabien, revenu à Bourg-la-Reine après plusieurs années d'errance. Ce dernier a lui aussi fondé une nouvelle famille, avec un fils, Jean-François, puis un autre garçon. Dans ces familles recomposées, Alain peine à trouver sa place. Il se sent étranger parmi les siens, ni d'un foyer ni de l'autre. Entre deux beaux-parents, sans véritable ancrage, il développe un sentiment de rejet qui l'isole davantage.

Scolarité turbulente

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En quête d'un cadre stable, Alain est placé en pension. Indiscipliné, provocateur plus que violent, il se décrit plus tard comme un « petit monstre ». Il fréquente des écoles religieuses dirigées par des pères ou des abbés, où règnent discipline stricte et enseignement rigide. Il est renvoyé à six reprises. Il commence au collège Saint-Nicolas d'Issy-les-Moulineaux, tenu par les frères des écoles chrétiennes, parmi un millier de garçons en uniforme, logés dans d'immenses dortoirs surveillés de près. Dans ce cadre austère, Alain se distingue vite par son refus de l'autorité : son tempérament indocile et son refus de se plier aux règles font de lui un élève à part. Les réprimandes n'ont aucun effet sur lui, et il est finalement exclu. Il est ensuite envoyé au collège Saint-Nicolas de Buzenval à Rueil-Malmaison, où il ne s'attarde pas, puis passe brièvement par Saint-Gabriel à Bagneux, sans davantage d'adaptation.

Delon garde de ces années un souvenir amer : il décrit sa scolarité comme un enfer. Obéir lui semble impossible. Chaque rentrée rime avec solitude et changement d'établissement. En pension, les « billets de consigne » le privent souvent de sortie le samedi. Seule lumière dans ce quotidien : à 11 ans, il vit à Fresnes une première histoire d'amour, qui dure deux ans,. C'est hors du cadre scolaire qu'Alain trouve d'autres rares moments de bonheur. Son père, Fabien, féru passionné de cinéma, l'emmène voir des films au Cinéac-Montparnasse. Il découvre The Lone Ranger et lit des revues cinéphiles. Il se prend d'admiration pour Michèle Morgan et Ava Gardner, dont il est frappé par le rôle dans Les Tueurs. Il apprécie aussi Madeleine Lebeau, actrice française à Hollywood . Côté musique, il écoute Charles Trenet et Édith Piaf dès qu'il en a l'occasion.

Il termine sa scolarité au pensionnat catholique de Saint-Nicolas d'Igny, où il se lie d'amitié avec Gérard Salomé. À 14 ans, Alain et un camarade, Daniel Salvadé, décident de fuguer pour rejoindre Chicago. Un oncle de Daniel, censé y posséder une usine à cochons, leur aurait promis un emploi. Le plan : rejoindre un port atlantique, probablement Bordeaux, pour embarquer. Ils s'échappent un matin du pensionnat, sacs au dos. Un maraîcher, intrigué par leurs propos accepte de les prendre en stop, mais finit par les déposer à la gendarmerie de Châtellerault,,,. Les forces de l'ordre découvrent rapidement leur identité : deux mineurs en fugue. Ils sont placés en garde à vue et Paul, le beau-père d'Alain, vient le chercher. Après avoir tout raconté, les deux garçons sont renvoyés au pensionnat et sanctionnés. Pour s'occuper, Alain rejoint une chorale, où l'on découvre chez lui une certaine justesse. Le chef de chœur le trouve doué, mais cela ne suffira pas à lui donner le goût d'une carrière artistique.

De figurant à charcutier

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La boucherie-charcuterie du beau-père Paul Boulogne, à Bourg-la-Reine, en 1940. Le petit Alain est l'enfant de gauche.

À l'âge de 14 ans, il a l'occasion de tourner le rôle d'un voyou dans Le Rapt, un court métrage muet de 22 secondes réalisé par Olivier Bourguignon,. Alain y incarne un malfrat chargé d'enlever une jeune femme. L'opération échoue, et son personnage finit tué.

Mais pour l'heure, les études sont définitivement derrière lui. Il n'a ni le goût ni la capacité à poursuivre une scolarité classique. Aucune école ne veut plus de lui. Sa mère, qui a épousé en secondes noces Paul Boulogne, un commerçant boucher-charcutier de Bourg-la-Reine, dans les Hauts-de-Seine, lui ménage une place dans le domicile familial. Alain passe un certificat d'aptitude professionnelle de charcuterie et travaille à la boutique de son beau-père qui compte seize employés.

Avec son avenir professionnel semblant assuré, Alain consacre son temps libre au sport. Il s'enthousiasme pour les grands noms du cyclisme : René Vietto, Jean Robic et Roger Lapébie. Un jour, pour impressionner les filles dans le parc de Sceaux, Alain tente quelques figures acrobatiques à vélo. La dernière figure tourne mal : il chute violemment, menton le premier sur le bitume. Il saigne, se fait recoudre, et garde une cicatrice visible sur le visage. Motivé, il rejoint la section cycliste de l'US Métro de Croix de Berny. Il se met à rêver d'un avenir de champion, et participe à des compétitions au Vélodrome d'Hiver. Dans ce lieu, il fait la connaissance d'un autre passionné, André Pousse, qui deviendra acteur et restera son ami.

De retour à ses obligations, Alain obtient son certificat d'aptitude professionnelle de charcutier-traiteur, à l'École du jambon français. Il travaille à la charcuterie de son beau-père et brièvement dans deux autres charcuteries : l'une à L'Haÿ-les-Roses, chez Madame Durand, l'autre rue Saint-Charles à Paris,. Il est compétent, mais il sent qu'il n'est pas à sa place.

Armée et errances (1953-1957)

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La Marine

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En quête de repères, Alain Delon erre dans les rues de Paris jusqu'au jour où une affiche attire son attention : « Jeunes gens de 18 à 26 ans, l'Armée de l'Air vous appelle ! », promettant des vols en avion à réaction, un entraînement en France et en Afrique du Nord, ainsi qu'une prime d'engagement. Enthousiasmé, il en parle à son père, qui l'encourage : Alain déteste l'école, et ce choix lui permettrait de réduire son service militaire. Mais au Secrétaire d'État à l'Air, on lui lui annonce qu'il est trop jeune et que le prochain départ n'a lieu que dans six mois. Refusant d'attendre, il se tourne vers la Marine nationale : le , accompagné de son père, il signe un engagement de trois ans. Mineur, c'est son père qui signe à sa place. Delon reçoit une prime de 1 520 francs, une somme importante pour un adolescent à cette époque.

Avant son incorporation, il rompt avec Mick, une jeune femme qu'il a un temps envisagé d'épouser. Le , il part pour Rennes, puis rejoint le centre de formation maritime de Pont-Réan, près de Guichen, pour quatre mois de classes,. Il est enregistré comme matelot de 3e classe no 1203 T 53, sans spécialité. Il y apprend la godille, l'aviron en baleinière, le matelotage, le tir, les corvées et les tours de garde. Il s'initie à la discipline militaire : marcher au pas, obéir, résister à l'effort. Il trouve dans ce cadre une forme d'intégration, le sentiment d'appartenir à un collectif mais l'absence de sa mère lui pèse.

L'Indochine

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À la fin de sa formation, Alain Delon choisit de partir en Indochine, une destination qui fascine encore de nombreux jeunes soldats malgré la fin des grands combats. Encore mineur, il obtient à nouveau l'autorisation de ses parents pour signer la prolongation d'engagement de cinq ans,. Leur réponse, rapide et sans question, le sidère et le blesse. Pour lui, ils l'envoient à la guerre comme s'il s'agissait d'une formalité : « C'est peut-être ce qui m'a le plus marqué dans ma vie. Je n'ai jamais pu l'admettre ni le comprendre. Je sais que je n'enverrai jamais à la guerre un gosse de 18 ans qui a plus besoin d'avoir un livre entre les mains qu'un fusil ».

Il entame alors une formation de radio à l'école des transmissions des Bormettes, à La Londe-les-Maures, près de Toulon. Le soir, il erre parfois en solitaire, dans le sulfureux « Petit Chicago », où se croisent marins, voyous, filles de joie et mauvais garçons dans une ambiance électrique. C'est là qu'il rencontre Charles et Rita Marcantoni, tenanciers de bar, qui deviennent pour lui une famille de substitution. Après une première incarcération pour vol de matériel,, il est affecté comme radio sur le Gustave Zédé (en), un navire ravitailleur de sous-marins, pour une mission en Méditerranée de quatre mois et onze jours. Il souffre du mal de mer. À son retour, il est à nouveau sanctionné et placé sous les verrous vingt jours, n'en sortant que pour embarquer vers l'Indochine, le .

« Je suis arrivé en Indochine après Diên Biên Phu. Il n'y avait plus que des combats de rue… Mais je serais tombé en pleine guerre, j'aurais aimé ça aussi. Ce sentiment que tout peut arriver… Cette sensation de se trouver en face de ce qu'on croit être des responsabilités. En fait, on n'en a aucune, bien sûr. On n'est rien. Un gamin, un gosse. Mais on se sent un homme, bien qu'on ne le soit pas du tout. On joue les hommes, on a un fusil. »

Arrivé à Saïgon le , il est affecté à la défense de la caserne Francis-Garnier (n'ayant toujours pas le pied marin, il est mis en poste sur la terre ferme). L'atmosphère militaire, la camaraderie et la vie en mission lui plaisent, malgré de nombreuses sanctions pour insubordination. Il fréquente les cinémas de la rue Catinat et est marqué par Touchez pas au grisbi de Jacques Becker. Le , il est promu matelot de 2e classe. Peu après, une escapade en jeep non autorisée tourne mal : l'accident blesse un camarade et entraîne une enquête. Delon est incarcéré, rétrogradé au grade de mousse, interdit de séjour en Indochine, et renvoyé en France. Il évite un procès ou une peine plus lourde, la Marine préférant étouffer l'affaire pour ne pas exposer l'existence d'éléments incontrôlables dans ses rangs. Son contrat de cinq ans est annulé ; il doit rembourser une partie de la prime d'engagement, une dette réglée par sa mère,.

Retour en France et vie instable à Paris

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Le , Alain Delon revient en France. Arrêté à Marseille par la police militaire pour possession d'une arme non déclarée, achetée à un trafiquant à Saïgon, il est condamné à 45 jours de prison au fort Lamalgue à Toulon,. Cette peine prolonge son service militaire de cent jours. Il passe son vingtième anniversaire, le 8 novembre, seul en caserne,. Libéré le , il ne reçoit ni certificat de bonne conduite ni prime de libération. Il a passé 1 195 jours sous l'uniforme, soit trois ans et trois mois, dont près d'un an en détention militaire. Son livret militaire, expurgé grâce à l'intervention de sa mère, ne mentionne plus que « sept jours pour mauvaise conduite », alors qu'il a accumulé quatorze punitions,. Ce service intense, chaotique, a transformé en profondeur Delon,. Il repart avec seulement une médaille commémorative de la campagne d'Indochine, sa seule décoration, mais à ses yeux un souvenir important. Officiellement envoyé à Bourg-la-Reine chez son père, il retourne en réalité chez ses amis Marcantoni à Toulon. Exclu de l'armée, il refuse les pistes proposées, comme la Légion étrangère ou la police, qu'il juge incompatibles avec son caractère.

Rapidement, Alain Delon comprend qu'il doit quitter Toulon pour envisager un avenir, et décide de partir à Paris. Il rompt tout contact avec ses parents. La capitale l'oppresse au point qu'il dit y avoir ressenti plus de peur qu'en Indochine : « J'étais complètement transformé. J'avais même peur de traverser la rue. Les voitures qui filaient à toute vitesse dans la grande ville étaient pires que des balles. J'avais une sensation d'angoisse. Tous ces gens, ces automobiles, ce flot d'êtres humains sans contrôle… c'était pire que la jungle vietnamienne ». Sans logement, il est hébergé par Lucien Lejeune, ancien quartier-maître, dans sa petite chambre d'hôtel près de Pigalle, alors haut lieu de la prostitution. Des femmes du quartier, attirées par son physique, lui proposent de devenir leur protecteur, un rôle entre l'amant et le garde du corps. Son avenir semble alors se diriger vers celui de souteneur,.

Installé ensuite rue Jean-Mermoz, il se lie avec une voisine, Yolanda Gigliotti, future Dalida ; encore inconnus, ils partagent leurs débuts difficiles. Delon enchaîne alors les petits boulots : manutentionnaire aux Halles le matin, serveur le soir dans un café des Champs-Élysées, Le Colisée, qu'il quitte au bout d'un mois,. Il est condamné à deux mois de prison ferme pour avoir tiré en février 1957 dans la vitrine d'un marchand de couleurs de Saint-Germain-des-Prés avec une arme de 9 mm ; il est amnistié en 1959, sa peine étant convertie en une amende de 10 000 francs.

Malgré une vie instable, Alain Delon reste curieux et plein d'énergie. Sa beauté facilite les rencontres et lui ouvre de nombreuses portes. Avec son ami Lucien, il fréquente les lieux animés mais connaît encore peu Paris en dehors de ce quartier et des Champs-Élysées,. La découverte de Saint-Germain-des-Prés marque un tournant. Il y croise notamment régulièrement les jeunes comédiens de la « bande du Conservatoire », dont Jean-Paul Belmondo. Très vite, ils partagent les mêmes lieux de vie : cafés, baby-foot sous le théâtre Montparnasse, soirées animées rue Saint-Benoît.

Devenir acteur par accident (1957-1958)

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Introduction dans le milieu du cinéma

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L'actrice Brigitte Auber (ici en 1957) introduit Alain Delon dans le milieu du théâtre et du cinéma.

À ce moment-là, Delon ne pense toujours pas à devenir acteur. Il vit au jour le jour, sans plan précis, porté par le hasard des rencontres. Il devient l'amant de Monique Aïssata, dite Zizi, ancienne danseuse martiniquaise paralysée par la polio. Elle présente Alain à ses amis du milieu, l'introduisant sans le savoir dans les cercles du cinéma français. Parmi eux : Brigitte Auber, comédienne remarquée au théâtre puis au cinéma, notamment dirigée par Hitchcock dans La Main au collet. Il parvient à la séduire avec une lourde insistance,. Très vite, ils emménagent ensemble, dans un petit appartement rue du Pré-aux-Clercs, dans le 7e arrondissement. Alain confie qu'il veut devenir célèbre, sans savoir encore dans quel domaine. Il a renoncé au cyclisme, délaissé la boxe. Souvent, il va retrouver Brigitte au théâtre de la Madeleine, où elle joue L'Amour fou. Dans les coulisses, il sympathise avec le futur comédien Claude Brasseur (venu chercher sa mère l'actrice Odette Joyeux) et l'entraîne dans ses virées. Delon suit Brigitte dans ses déplacements professionnels.

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Ambiance du festival de Cannes 1957 devant l'hôtel Miramar. Une voiture de sport, une starlette et l'affiche du film Le Tour du monde en 80 jours.

Brigitte Auber Auber lui conseille d'aller à Cannes où, vu son physique, il pourrait y nouer de bons contacts. En mai 1957, elle lui prête sa MG verte décapotable pour qu'il se rende au festival de Cannes. Au milieu du tumulte de l'événement, Alain Delon, alors inconnu, attire l'attention. Sur la plage, il joue avec un groupe de jeunes, dont Jean-Claude Brialy, futur acteur de la Nouvelle Vague ; leur relation débute par une rencontre tendue, puis se transforme en amitié durable. Ensemble, ils tentent d'assister aux projections officielles du festival, sans succès, mais se rabattent sur des séances gratuites, où Delon se fait remarquer pour son allure et son attitude,.

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Henry Willson et David O. Selznick (ici sur la photo) jouent un rôle clé dans les débuts internationaux d'Alain Delon, en lui ouvrant les portes d'Hollywood, un univers qu'il n'envisageait pas encore à ce moment de sa carrière.

Il est approché par l'agent hollywoodien Henry Willson, découvreur de Rock Hudson, qui lui propose de venir à Rome pour rencontrer le producteur David O. Selznick. D'abord réticent, Delon accepte ensuite à condition que ses frais soient pris en charge. Willson vante Delon auprès de Selznick, le présentant comme un nouveau « French lover » à la Louis Jourdan, et lui décroche une audition, en dépit de la faible maîtrise de l'anglais de l'acteur.

De premiers essais

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Alain Delon profite encore de la Côte d'Azur lorsqu'il fait la rencontre de Philippe Erlanger, haut fonctionnaire et délégué général du Festival de Cannes. Ce dernier, influent dans les milieux culturels, propose de l'aider à entrer dans le monde du cinéma,.

À Rome, Delon est accueilli par Rock Hudson et présenté à David O. Selznick qui, qui accepte de lui faire passer un bout d'essai. L'annonce de ce test paraît dès le lendemain dans The Hollywood Reporter : « Henry Willson signed to agent Brigitte Auber's husband… Jimmy Dean type named Delon ».

Lors de ce premier essai, Delon doit interpréter une scène mêlant plusieurs émotions. S'il prend l'exercice à la légère, sa photogénie et son aisance sont remarquées. Selznick envisage un contrat de sept ans, mais Delon, prudent, demande quels rôles lui seraient proposés. Aucun ne lui est précisé, mais il accepte de suivre des cours d'anglais financés par le producteur.

De retour à Paris, Brigitte Auber l'encourage à suivre des cours de théâtre auprès de Simone Jarnac. Il abandonne rapidement. Leur relation se détériore, et après une dernière rencontre à Marseille, ils se séparent,.

Rencontre avec Michèle Cordoue et Yves Allégret

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Au fil des soirées et des rencontres, Alain Delon fait la connaissance de Michèle Cordoue. Celle-ci s'intéresse très vite à Alain. Cette comédienne blonde aux yeux gris, âgée de 35 ans, a commencé sa carrière au cinéma grâce à son second mari, Yves Allégret. Elle a notamment joué aux côtés de Gérard Philipe dans La Meilleure Part et Les Orgueilleux. Bien implantée dans le milieu, elle dispose d'une réelle influence grâce à sa proximité avec Allégret. Entre Michèle et Alain, une liaison débute. Le jeune homme, attiré par les femmes plus âgées, y voit une expression de la féminité à son apogée. Michèle, fascinée par son charme et sa beauté, le pousse à envisager sérieusement une carrière d'acteur. Michèle insiste auprès de son mari, qui prépare alors un polar inspiré d'un roman de la Série Noire intitulé Quand la femme s'en mêle. Il recherche des jeunes hommes solides pour des seconds rôles de truands. Il a déjà recruté Bruno Cremer, tout juste sorti du Conservatoire, mais il lui manque encore l'acteur pour incarner Jo, l'un des acolytes du chef de gang Riton. Les producteurs proposent Gil Vidal, récemment vu avec Annie Girardot dans L'Homme aux clés d'or. Allégret hésite. Sous l'influence de Michèle, il accepte finalement de rencontrer Alain. Plutôt que de lui faire passer un essai, il engage la conversation. Alain raconte son enfance difficile, son service militaire, son passage à Cinecittà et l'offre de Selznick à Hollywood. Ce récit séduit Allégret, mais il met le jeune homme en garde : à Los Angeles, il ne sera qu'un visage parmi tant d'autres. Il l'incite à tenter sa chance en France, où il pourrait rapidement se distinguer. Il se dit même prêt à lui confier un rôle de voyou dans son film. Alain hésite. Il veut réussir, devenir célèbre, mais n'est pas encore convaincu que le cinéma soit la voie. Toutefois, face à la ténacité d'Allégret et à la persuasion douce de Michèle, il finit par céder. Plus par reconnaissance que par réelle envie, il accepte le rôle.

Peu après, il contacte Henry Willson pour lui annoncer qu'il renonce à partir aux États-Unis. L'agent hollywoodien tombe des nues : c'est la première fois qu'un jeune Français refuse un contrat de sept ans avec un grand producteur américain. Sans regret, Delon admet : « Si je n'avais pas rencontré Yves Allégret, je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi et de ma carrière. Je serais effectivement parti aux États-Unis lié à un contrat de sept ans. Et je ne sais pas du tout la carrière que j'aurais pu y faire. »

Quand la femme s'en mêle : la révélation

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Yves Allégret révèle Alain Delon en France en lui confiant son premier rôle, le détournant ainsi d'Hollywood qui s'ouvrait à lui.

Yves Allégret donne finalement son accord : Alain Delon incarne Jo, un gangster séduisant dans Quand la femme s'en mêle. Mais plusieurs obstacles demeurent : Delon ne se montre toujours pas pressé de devenir acteur. À l'image de Lino Ventura quelques années plus tôt, qui ne franchit le pas que grâce à la présence de Jean Gabin dans Touchez pas au grisbi, Delon n'accepte de tourner Quand la femme s'en mêle que parce que le projet est entouré de grands noms. Le film promet d'être une œuvre sérieuse, bien produite, loin d'une quelconque série B. Et pour finir, Alain touche un cachet de 400 000 francs, somme confortable pour un débutant. Yves Allégret décide de faire confiance à l'instinct d'Alain, sans répétitions. Delon raconte :

« Je ne savais rien faire. Allégret m'a regardé comme ça et il m'a dit : « Écoute-moi bien, Alain. Parle comme tu me parles. Regarde comme tu me regardes. Écoute comme tu m'écoutes. Ne joue pas, vis ». Ça a tout changé. Si Yves Allégret ne m'avait pas dit ça, je n'aurais pas eu cette carrière. »

Le tournage débute le 8 juillet dans les studios de Boulogne-Billancourt. La toute première scène d'Alain paraît simple en apparence : il doit sortir d'une pâtisserie avec Sophie Daumier, qui porte un petit paquet de gâteaux. Mais l'ambiance n'est pas anodine : une imposante caméra, des projecteurs, une équipe de techniciens braquée sur lui… Le défi est réel. Pourtant, Delon ne se laisse pas envahir par le trac. Il se sent détendu, à sa place. Son naturel fait mouche. La scène est tournée sans difficulté. De jour en jour, Delon prend goût à son nouveau métier :

« Je ne connaissais rien de ce métier-là. Tout ce que je connaissais du cinéma c'était Jean Gabin, Michèle Morgan, Jean Marais. Et je ne me sentais pas capable, je ne savais pas dans quoi j'allais me fourrer… Quinze jours après avoir commencé je suis tombé amoureux de mon métier, c'est-à-dire amoureux de la caméra. »

Autour de lui, l'étonnement est général. La presse commence à s'intéresser à ce nouveau venu et le magazine Cinémonde publie deux articles.

Sur le plateau, le charisme d'Alain Delon opère pleinement. Il incarne un tueur à gages, chargé par Henri Godot dit Riton (interprété par Jean Servais) d'éliminer les gêneurs. Sa première apparition à l'écran le montre assis en face de son patron, aux côtés d'un autre homme de main, joué par Jean Lefebvre. Le choix du polar n'est pas anodin. Delon est déjà fasciné par ce genre, auquel il restera fidèle tout au long de sa carrière. Son personnage de Jo esquisse déjà les contours de ce qu'on appellera plus tard les héros deloniens.

Quand la femme s'en mêle sort en salles le 15 novembre 1957, Delon vient de fêter ses 22 ans. Son nom figure seul à l'écran (juste après celui de Jean Lefebvre), signe de la confiance qu'Yves Allégret lui accorde. À ce moment-là, son père, Fabien Delon, découvre par hasard une affiche. En passant devant un cinéma, il croit reconnaître la silhouette de son fils. Il s'approche et, au bas de l'image, lit : Alain Delon. Son fils est devenu acteur. Le film ne dépasse pas le million d'entrées. Le public préfère des films spectaculaires comme Le Pont de la rivière Kwaï, ou romantiques, tels que ceux où triomphe Romy Schneider en Sissi.

Malgré tout, plusieurs journalistes repèrent Delon. Un constat s'impose : Alain Delon possède un vrai don, ou du moins une présence unique, ce qui est déjà beaucoup au cinéma.

Delon, lui, pense n'avoir signé que pour un coup d'essai. Il accepte Quand la femme s'en mêle comme une expérience unique, avant de reprendre sa route. Trop tard : le virus du cinéma l'a contaminé. Edwige Feuillère l'encourage vivement à continuer et elle lui présente même son agent, Olga Horstig, qui représente déjà Danielle Darrieux, Michèle Morgan et une étoile montante : Brigitte Bardot. Alain Delon devient pleinement acteur.

Feuillère le pousse à tenter un rôle important : celui de l'amant d'Yvette Maudet, voleuse et meurtrière bientôt jugée aux assises, dans En cas de malheur, le prochain film de Claude Autant-Lara. Delon en rêve mais le rôle lui échappe.

Ascension (1958-1959)

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Notoriété grandissante

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Alain ne reste pas longtemps sur la touche. Yves Allégret, impressionné par sa performance, en parle à son frère Marc Allégret, également cinéaste, qui cherche de nouveaux visages pour son prochain film : Sois belle et tais-toi. Il s'agit d'une comédie policière portée par Henri Vidal, l'ex-mari de Michèle Cordoue. Le titre, volontairement provocateur, correspond à la dernière réplique du film. Marc décide d'engager Alain Delon en même temps qu'un autre jeune acteur fraîchement sorti du Conservatoire : Jean-Paul Belmondo.

Grâce à son agent Olga Horstig, Delon obtient un cachet de 600 000 francs, soit 50 % de plus que pour son film précédent. L'histoire du film met en scène une bande de jeunes mêlés à un trafic d'appareils photo… qui dissimulent en réalité des bijoux. Un fringant inspecteur de police vient dénouer l'affaire. Pour Marc Allégret, l'objectif est surtout de valoriser les deux vedettes principales : Henri Vidal et Mylène Demongeot. Cette dernière hérite d'un rôle que le scénariste Roger Vadim destinait initialement à sa fiancée : Brigitte Bardot. Lors du tournage, il emprunte la Renault 4CV de Pascal Jardin, le second assistant du réalisateur, contre l'avis du propriétaire du véhicule. Dans le tunnel de Saint-Cloud, la voiture empruntée effectue cinq tonneaux. Le véhicule est détruit et Alain Delon s'en sort avec une cicatrice sous le menton qui deviendra caractéristique de son image.

Delon incarne Loulou, un petit caïd. Il participe à plusieurs scènes musclées : poursuite en voiture, bagarre contre Henri Vidal, escalade, maniement d'arme… et même un coup de feu. Côté critique, sa performance est remarquée.

Sois belle et tais-toi sort en mai 1958 et approche les deux millions d'entrées. Le public lui préfère cependant les jeunes des Tricheurs de Marcel Carné. Le nom de Delon est d'ailleurs brièvement envisagé pour Les Tricheurs, il passe une audition mais Marcel Carné lui préfère Jacques Charrier.

En mai 1958, Alain Delon profite de sa notoriété grandissante pour revenir au Festival de Cannes, où il est cette fois pleinement admis dans le monde du cinéma. Les photographes l'immortalisent au bras de plusieurs comédiennes en vogue, parmi lesquelles la mystérieuse Bella Darvi, avec qui il fait du bateau — même s'il déteste la mer —, et la blonde Estella Blain, qu'il accompagne en smoking à une projection officielle. Bella, de sept ans son aînée, multiplie les avances. Déjà maîtresse du redoutable producteur Darryl F. Zanuck, elle n'hésite pas à déclarer être « folle de lui ». Delon, absorbé par ses nouvelles obligations, ne trouve pas le temps de voir Sissi face à son destin, qui représente l'Allemagne cette année-là au festival. Il passe pourtant à côté du charme de la jeune actrice principale. De retour à Paris, il entame une liaison avec la danseuse Rita Cadillac du Crazy Horse, célèbre cabaret dirigé par Alain Bernardin, un ami de Delon.

À la fin de l'année, la presse publie une photo rassemblant les nouveaux espoirs du cinéma français, millésime 1958. Y figurent Jean-Claude Brialy, Pierre Brice, Alain Saury, Jacques Charrier, Maurice Sarfati, Georges Poujouly, et bien sûr Alain Delon. Tous ne connaîtront pas le même destin.

Naissance d'un couple mythique

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Alain Delon réside désormais au 3 quai Malaquais, face à la Seine, dans un quartier paisible voisin de l'Institut de France. Il loge chez Georges Beaume, un journaliste qu'il a rencontré lors du Festival de Cannes 1957. Grand lettré et cinéphile, il travaille pour Cinémonde et mène parallèlement une carrière d'écrivain, critique d'art, producteur et agent artistique. Grâce à sa parfaite connaissance des arcanes du monde cinématographique, Georges devient un précieux conseiller pour Alain. Il lui indique les bonnes personnes à rencontrer, les projets à privilégier, les soirées où se montrer, mais aussi les pièges à éviter pour un jeune premier. Car Delon déborde déjà de propositions, certaines farfelues comme Père et mère inconnus ou Le Bouc étourdi, d'autres plus sérieuses comme Le Jugement de Salomon que prépare un temps André Michel, avant de se tourner vers l'adaptation de Sans famille. Georges Beaume préfère guider son protégé vers des voies plus solides.

Convaincu qu'un tel charisme ne suffit pas, Beaume incite Alain à approfondir son art. Il l'encourage à se cultiver davantage, car Delon connaît encore peu de films. En quelques semaines, ce dernier devient un véritable cinéphage. Il se passionne pour des acteurs aussi divers que Gary Cooper, Gérard Philipe, Montgomery Clift, Burt Lancaster et James Dean, mais sa préférence reste au tourmenté John Garfield, mort d'une crise cardiaque à 39 ans.

Pendant ce temps, Michel Safra, producteur, perçoit le succès des romances en uniforme et développe un projet ambitieux : Christine, adaptation de la pièce Liebelei d'Arthur Schnitzler, transposée dans la Vienne de 1806. L'univers d'aristocrates et de militaires séduit le public, porté par la vague des films Sissi. Pour ce rôle féminin principal, Safra engage Romy Schneider, déjà star adulée dans toute l'Europe.

Reste à trouver son partenaire masculin. Plusieurs candidats passent : Gérard Blain décline, peu séduit par l'idée d'un uniforme de lieutenant. Jacques Charrier, encore méconnu, refuse également. Louis Jourdan, envisagé un temps, est écarté en raison de son âge (37 ans). C'est alors que Georges Beaume et Olga Horstig saisissent l'occasion pour défendre la candidature de Delon. Le producteur objecte qu'il est certes très photogénique, mais qu'il n'a joué que des rôles de voyous, et que son passé militaire ne fait pas de lui un officier autrichien convaincant. Malgré tout, il accepte de lui faire passer des essais dans les costumes des Grandes Manœuvres, romance en uniforme avec Gérard Philipe et Michèle Morgan. Parmi les autres postulants figurent Jean Piat, Paul Guers et Jacques Toja. Les bandes d'essai sont envoyées en Allemagne, où Romy Schneider doit trancher. Elle choisit Delon. À peine engagé, Alain demande que le rôle de son meilleur ami dans le film soit confié à Jean-Claude Brialy. Ce dernier n'en revient pas : il est impressionné par la capacité de persuasion de Delon.

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Romy Schneider en 1955

Tout commence le 10 avril, Alain reçoit pour mission d'accueillir Romy Schneider à l'aéroport d'Orly. La production orchestre la rencontre dans les moindres détails. Il doit lui tendre un bouquet de fleurs et afficher son plus beau sourire. L'événement attire la presse : c'est la première fois que la star allemande – forte de plus de 18 millions d'entrées en France avec la trilogie Sissi – vient travailler à Paris. Ni l'un ni l'autre ne se montre vraiment à l'aise. Pour tous les deux, cette rencontre a des allures de corvée.

L'avion atterrit, la porte s'ouvre, Romy apparaît, accompagnée de sa mère, la comédienne Magda Schneider. Elle aperçoit un jeune homme impeccable qui s'approche. Plus tard, Romy confiera avoir trouvé ce jeune Français trop parfait, presque surfait : trop beau, trop jeune, trop bien coiffé, trop bien habillé. La mise en scène entière lui paraît artificielle. À cela s'ajoute la barrière linguistique. Alain ne parle pas allemand, Romy ne parle pas français.

La journée de Romy est entièrement planifiée : essayage de costumes, présentation aux techniciens, rendez-vous médiatisé le soir même au Lido, en présence des photographes. Au cabaret, ils dansent. Alain tente un mot d'allemand : Ich liebe dich. « Je t'aime. ». Un peu prématuré… La soirée reste aussi fade que la cérémonie d'Orly et chacun rentre de son côté. Le lendemain, Romy repart pour Ibiza se reposer. Alain lui adresse une lettre enthousiaste où il se réjouit de leur prochaine collaboration. Elle lui répond poliment, l'échange reste très convenu. Sur le tournage de Christine, Romy est l'incontestable vedette. Son cachet atteint 75 millions de francs, contre 400 000 pour Delon, qui a accepté un gros rabais pour obtenir le rôle. Le 22 mai, à l'occasion du bal d'inauguration du Festival du Film de Bruxelles, la production envoie le « couple vedette » pour assurer la promotion. Romy, accompagnée de sa mère, voyage en avion ; Alain, moins choyé, prend le train. La réception, organisée dans le cadre de l'Exposition universelle, est somptueuse. Mais les deux jeunes acteurs dînent séparément : elle à la table allemande, lui à la table française. Après quelques danses, Alain propose à Romy de l'accompagner à sa table. Alain suggère qu'ils rentrent ensemble en train et Romy accepte. Pendant le trajet, l'ambiance s'allège. Peut-être les prémices d'une idylle ? Romy, en tout cas, montre une volonté nouvelle de s'affranchir de l'emprise maternelle. Début juin, après un court séjour en Allemagne, elle revient à Paris pour les essayages de costumes, de perruques, de maquillage, et participe à des répétitions de valse dans un studio à Pigalle.

À Neuilly, Delon et Brialy s'entraînent à l'équitation à la viennoise. Le tournage commence, d'abord à Paris et Versailles. Romy découvre alors un Delon bien différent de l'image lisse qu'elle avait perçue.

Quelques jours après le début du tournage, incident : en conduisant trop vite, Alain coince sa voiture entre deux rames de tramway et la circulation est bloquée. Les acteurs n'arrivent pas sur le plateau : la production, furieuse, envisage de les remplacer. Gaspard-Huit s'y oppose fermement. Fin juillet, l'équipe se rend à Vienne pour les extérieurs. L'atmosphère se détend. Alain découvre la popularité folle de Romy, quasi impériale. Pour éviter la foule, elle entre par une porte de service mais reste d'une ponctualité et d'une simplicité exemplaires.

La presse flaire l'idylle. Elle apprend que Romy rejoint Alain à l'hôtel Sacher : sa mère entre dans une colère noire. Les week-ends, le trio part en virée, partageant les frais. Alain, cependant, se montre très généreux avec Romy, ce qui agace un peu les autres. Un dimanche, ils prennent la route vers Salzbourg : Romy, de son côté, reste exigeante. Elle sait que le succès du film repose sur elle. Son nom apparaîtra au-dessus du titre, celui d'Alain en petit, en bas.

Le 30 août, le tournage s'achève. Alain s'apprête à quitter l'Autriche. À l'aéroport, Romy l'accompagne : avant d'embarquer, il l'embrasse tendrement. Elle rentre chez elle en larmes. Dans l'avion, Delon se sent aussi bouleversé et confie son trouble à Georges Beaume.

Le lendemain, Romy retourne à l'aéroport, censée s'envoler pour Cologne. Mais elle change d'avis au comptoir : elle achète un billet pour Paris. Elle choisit la liberté : elle appelle Alain et il vient aussitôt la chercher à Orly.

Ils s'installent quai Malaquais.

Très vite, les journalistes s'emparent de l'histoire. Le couple Delon-Schneider devient l'un des plus médiatisés du moment : beaucoup les surnomment déjà « Les fiancés de l'Europe ». Romy n'a que 20 ans, Alain 23. Leur carrière les accapare et les contrats s'enchaînent. Romy tourne dans Éva ou les Carnets secrets d'une jeune fille, un film sans grand intérêt qui l'ennuie. Alain, de son côté, accepte Faibles Femmes, une comédie légère dans laquelle il ne se reconnaît pas. Il retrouve Mylène Demongeot et partage également l'affiche avec d'autres jeunes premières, Pascale Petit et Jacqueline Sassard.

Mais au quotidien, la pression est forte : les paparazzis les traquent. La presse allemande réclame le retour de sa star au pays. Et la famille Schneider, solidaire, tente de soustraire Romy à l'emprise du sulfureux Delon. Appels téléphoniques incessants, lettres critiques, rumeurs… Tout est bon pour discréditer le jeune Français. Romy, prise dans cette tempête, lutte tant bien que mal. Pour retrouver un peu de paix, le couple se réfugie à Tancrou, en Seine-et-Marne, à environ 70 km de Paris. Alain y achète un ancien prieuré, conseillé par son ami Georges Beaume. La demeure se situe rue de l'Église, près d'une église désaffectée, au bord de la Marne. La maison blanche, entourée de verdure, devient leur havre.

Le film Christine sort dans les salles le 24 décembre 1958, en pleine période de fêtes. La concurrence est rude et le film est accueillie avec tiédeur : on lui reproche d'être une simple bluette viennoise. Mais la province adhère, et le film atteint près de 3 millions d'entrées, même si cela reste deux fois moins que les chiffres de Sissi. En Allemagne, l'accueil est beaucoup plus froid. Les critiques de la presse allemande sapent peu à peu la popularité de Romy. Christine chute à la 28e place du box-office, loin des sommets atteints par ses précédents succès. Fait rare pour l'époque : Christine sort simultanément dans une cinquantaine de grandes villes européennes. La critique, en revanche, souligne la transformation d'Alain Delon dans son rôle.

Delon, jeune premier du cinéma européen

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Alain Delon est en pleine ascension. Alors que Christine n'est pas encore sorti, il enchaîne déjà un quatrième tournage, avec encore une fois un rôle principal. La comédie romantique Faibles Femmes lui permet d'endosser le rôle d'un homme à femmes qui fait chavirer le cœur de trois jeunes héroïnes : Agathe (Pascale Petit), Sabine (Mylène Demongeot) et Hélène (Jacqueline Sassard). Il lui faudra en choisir une, qu'il épousera finalement... après avoir suscité des élans criminels chez chacune. Le film est mis en scène par Michel Boisrond, ancien assistant de René Clair et de Jean Cocteau. Le scénario est signé Annette Wademant, son épouse. Le tournage débute le 8 septembre 1958. Dès les premières heures, l'ambiance se dégrade : Delon se retrouve malgré lui impliqué dans un conflit entre le réalisateur et le producteur, Paul Graetz. Le premier souhaite confier le rôle d'Hélène à Agnès Laurent, tandis que le second lui préfère Jacqueline Sassard. Le désaccord remonte jusqu'au directeur du Centre du cinéma, organisme de tutelle des productions. C'est ainsi qu'Alain découvre les coulisses tendues du cinéma. Il comprend que s'imposer dans ce milieu requiert parfois de défendre âprement ses choix : une leçon qu'il retiendra.

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Couverture du magazine Kinema Junpō de février 1959, dédiée au film Faibles Femmes, un succès au Japon qui marque le début de la popularité d'Alain Delon dans l'Archipel.

Dans ce climat apaisé, le tournage reprend. Dans une séquence, Delon doit affronter ses trois partenaires lors d'une bagarre chorégraphiée Son énergie débordante l'amène à oublier de retenir ses coups, et Mylène Demongeot en garde quelques bleus. Son vrai clash est avec Pascale Petit. Elle n'est pas charmée par lui, le jugeant « fade » et lui préférant Pierre Mondy, « plus chaleureux ». Elle l'accuse également d'arriver constamment en retard à cause de ses virées nocturnes. Un jour, ses retards provoquent un incident. Les actrices, nues pour leur séance de maquillage-bronzage avant la scène de piscine, ferment la porte à clé. Pascale va ouvrir : il entre brusquement, la renverse et son peignoir s'ouvre. Furieuse, elle lui flanque une gifle : Delon réplique avec une claque plus violente qui lui tuméfie la joue gauche. Pascale quitte le plateau, refuse de tourner, puis accepte de revenir à condition qu'Alain s'excuse. Il refuse et elle tourne tout de même. Un jour, alors qu'elle est dans sa loge, Delon y entre pour la première fois. Il dit regretter leur dispute et confie être amoureux d'elle : Delon propose même de l'épouser mais elle refuse.

Faibles Femmes sort le 11 février 1959. Les critiques sont partagées. D'autres voix sont plus enthousiastes et le public suit : plus de 2,3 millions de spectateurs en France. Le film cartonne aussi au Japon, où la popularité de Delon commence à prendre racine.

Alain aurait pu continuer à camper des séducteurs. Jean-Pierre Mocky pense à lui pour Les Dragueurs, mais le rôle revient à Jacques Charrier. Delon ne tient pas à se retrouver piégé dans ce type de personnage et veut explorer des rôles plus variés.

Son prochain projet est lancé : Le Chemin des écoliers, avec Bourvil dans le rôle de son père, et Lino Ventura à l'affiche. Y figurent aussi Françoise Arnoul, Jean-Claude Brialy et Pierre Mondy. Même ambiance, même auteur (Marcel Aymé), mêmes scénaristes (Aurenche et Bost). Delon y joue un adolescent de 17 ans, puceau et amoureux : pas de scène forte pour lui, les rôles clés reviennent aux adultes. Alain se lie avec Ventura grâce à leur passion commune pour le sport.

Le 8 mars 1959, sur le plateau, Alain annonce ses fiançailles avec Romy. Deux semaines plus tard, les fiançailles officielles ont lieu en Suisse, au bord du Lac de Lugano.

Le Chemin des écoliers sort en septembre 1959 : plus de 2,5 millions d'entrées.

En moins d'un an, Delon a enchaîné trois succès : Christine, Faibles Femmes et Le Chemin des écoliers. Il est devenu un acteur incontournable. Mais le risque d'enfermement dans le rôle de jeune premier est réel. Un projet de Jacques Becker, aux côtés d'Orson Welles et Brialy, tombe à l'eau. C'est finalement René Clément qui lui offrira une nouvelle voie. Lui, deux fois oscarisé, prépare un thriller solaire tourné en pleine Méditerranée.

Apogée du mythe Delon (1959-1969)

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La consécration Plein Soleil

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Alain Delon aux côtés de Marie Laforêt, sur le tournage de Plein Soleil en 1959.

En 1959, René Clément adapte The Talented Mr. Ripley, roman de Patricia Highsmith, sous le titre Plein Soleil. L'intrigue entrelace trois personnages centraux : Philippe Greenleaf, héritier riche et désinvolte, sa compagne Marge, et Tom Ripley, jeune homme sans ressources, missionné par le père de Philippe pour le convaincre de revenir à San Francisco, moyennant une somme de 5 000 dollars. Ce triangle relationnel conduit à un crime : Ripley assassine Greenleaf et prend son identité, dans le but de s'approprier ses biens. Clément souhaite des acteurs jeunes, au physique avantageux, car il veut que l'apparence des personnages masque leurs tensions intérieures. Alain Delon ne fait pas tout de suite partie de ses choix. Sur les conseils de Georges Beaume, Clément visionne Faibles Femmes : il trouve Delon maladroit, mal assuré, mais reconnaît en lui un indéniable pouvoir de séduction. Il décide alors de le rencontrer et lui propose d'interpréter Philippe Greenleaf. Jacques Charrier doit jouer Ripley.

Delon est convié chez le réalisateur pour confirmer son engagement, en présence de Bella Clément et des frères Hakim. Après avoir étudié le scénario, Delon décline et annonce vouloir plutôt incarner Ripley. Il se remémore de la réaction des producteurs : « Ce fut horrible. Les frères Hakim, Robert surtout, hurlaient : « Comment ! Vous osez ! Vous n'êtes qu'un petit con ! Vous devriez payer pour le faire ! » Ça a duré jusqu'à deux heures du matin, constamment à la limite de la rupture définitive. Et puis est venu un grand silence impressionnant, je m'en souviens très bien. Et dans ce silence est tombée la voix de Bella Clément : « Rrrené chérri, le petit a rrraison ». Et jusqu'à quatre heures du matin, elle a expliqué pourquoi le petit avait raison »,. Clément cède et convainc les producteurs : Delon incarnera donc Ripley. Il touchera un cachet de 35 millions de francs, identique à celui de Chemin des écoliers, mais cette fois en tête d'affiche, à 23 ans. Charrier se désiste et le rôle de Greenleaf échoit à Maurice Ronet.

Le tournage a lieu d'août à octobre 1959, principalement dans le sud de l'Italie. Delon se montre très impliqué dans son rôle. Très vite, Delon et Clément développent une relation quasi filiale. Des scènes difficiles, comme celle du meurtre sur le bateau, sont filmées dans des conditions météorologiques extrêmes. Delon s'entend bien avec Ronet et Romy Schneider, qui fait une apparition non créditée. Il entame aussi une liaison avec le mannequin Nico. Plein soleil sort en , en pleine guerre d'Algérie. L'affiche met en avant Delon, torse nu, sur fond de ciel bleu. La critique est élogieuse. Le film attire 2,4 millions de spectateurs et Patricia Highsmith apprécie le jeu de Delon. Le succès est aussi international et Delon devient une star mondiale,.

C'est une période où de nouveaux talents émergent, où de jeunes comédiens attirent l'attention. Cela se vérifie notamment lors du casting du Classe tous risques, premier film de Claude Sautet. Celui-ci recherche un jeune acteur crédible pour donner la réplique à Lino Ventura, dans le rôle d'un gangster en fuite. Les noms de Gérard Blain, Laurent Terzieff et Alain Delon sont proposés. Toutefois, soutenu par Ventura, Sautet maintient son choix et impose Belmondo. De son côté, le cinéma italien commence à s'intéresser à Delon. Mauro Bolognini envisage de lui confier le rôle d'Antonio dans Le Bel Antonio mais les producteurs choisissent finalement Marcello Mastroianni, plus populaire en Italie.

Triomphe en Italie, le pygmalion Visconti

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Alain Delon et Annie Girardot dirigés par Luchino Visconti dans Rocco et ses frères, sur le toit du Duomo de Milan, en 1960.

Olga Horstig continue de gérer les intérêts d'Alain Delon. Dotée d'un impressionnant carnet d'adresses, elle compte parmi ses proches de nombreuses figures influentes du milieu, notamment Luchino Visconti. Déjà reconnu pour Senso, le cinéaste italien souhaite explorer un sujet qui lui est personnel. Pour mettre en scène le destin de cinq frères – Rocco, Vincenzo, Simone, Ciro, Luca – et de leur mère Rosaria, Visconti s'appuie sur un roman existant. Famille modeste, leurs conditions les poussent à envisager une carrière dans la boxe pour Rocco et Simone. Autour d'eux, gravite Nadia, jeune prostituée et compagne de Simone. Mais lorsque Rocco revient du service militaire, il retrouve Nadia et noue une relation avec elle. En l'apprenant, Simone, ivre de jalousie, viole Nadia sous les yeux de son frère. Rocco retourne à la boxe, Nadia à la prostitution. Simone, incapable de supporter cette situation, la tue. Rocco tente de le soutenir, mais la cellule familiale est irrémédiablement brisée.

Ce récit intense est à la hauteur des ambitions de Visconti, et nécessite une distribution solide. Parlant parfaitement le français et partageant sa vie entre Paris et Rome, le réalisateur cherche ses acteurs des deux côtés des Alpes. Il pense à Jeanne Moreau pour le rôle de Nadia : elle refuse. Il se tourne alors vers Annie Girardot, moins connue à l'époque, qu'il a déjà dirigée au théâtre. Elle accepte. Pour incarner Simone, il choisit Renato Salvatori, au physique robuste de boxeur. Mais pour Rocco, aucun nom ne lui vient.

Olga lui demande alors une description aussi précise que possible du personnage. Visconti lui expose en détail le physique et la psychologie de Rocco. Peu après, elle accompagne Alain Delon à Londres pour assister à la première de Don Carlos de Giuseppe Verdi, mise en scène par Visconti au Covent Garden. À l'issue de la représentation, Delon est présenté au réalisateur. Visconti se contente de l'observer et déclare :

« Vous êtes Rocco. J'ai vu Plein soleil, Rocco ce sera vous ! »

Une simple poignée de main scelle cet accord. Des essais concluants à Rome confirment l'engagement de Delon début mars 1959, près d'un an avant le début du tournage. Visconti ne laisse aucune place au doute :

« Alain Delon est Rocco. Si on m'obligeait à prendre un autre acteur, je renoncerais à faire le film. J'ai écrit le rôle pour lui, il est le personnage central de l'histoire. »

Pour incarner au mieux son personnage de boxeur, Delon se plonge dans un entraînement physique intense. Parallèlement, Alain s'exerce aussi avec Jacques Villedieu, un ami amateur éclairé de boxe.

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Alain Delon boxeur dans Rocco et ses frères (1960) de Luchino Visconti.

Le tournage débute le 22 février 1960 à Milan, la ville natale de Visconti. Comme c'est souvent le cas en Italie, le film est tourné sans prise de son directe. Delon parle la plupart du temps en français, surtout face à Annie Girardot, mais il échange aussi en italien avec les autres acteurs. S'il avait été impressionné par l'attention au détail de René Clément, Delon découvre ici un degré supérieur d'exigence. Visconti veille à tout : Delon devient rapidement le favori du cinéaste, bénéficiant d'une grande liberté, alors que Salvatori, lui, subit une pression constante, devenant le souffre-douleur du tournage. Les spéculations vont bon train sur la nature exacte de la relation entre Delon et Visconti mais les rumeurs ne seront jamais confirmées.

Rocco e i suoi fratelli, déjà auréolé d'une réputation sulfureuse, est projeté à travers toute l'Italie. À la fin de sa diffusion, le film de Visconti se classe en deuxième position des productions italiennes de l'année, juste derrière La Dolce Vita de Federico Fellini. Le personnage incarné par Delon, devient un symbole de cette jeunesse désemparée : l'acteur réalise une prestation magistrale qui marquera sa carrière. La France devra attendre le 10 mars 1961 pour découvrir le film polémique. Moins virulent qu'en Italie, Rocco continue pourtant de susciter de vives passions et donne naissance à de nouvelles tentatives de censure. Le public veut juger par lui-même, et plus de 2 millions de spectateurs se pressent dans les salles.

Des projets à foison

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Alain Delon en 1961 à Rome.

Si Visconti en sort grand gagnant, Delon tire également profit de ce film et devient un acteur recherché. Sa carrière prend une dimension internationale :

  • Durant le tournage de Rocco e i suoi fratelli, Luchino Visconti le présente au réalisateur américain Vincente Minnelli, de passage à Rome. Ce dernier, connu pour ses succès comme Un Américain à Paris et Tous en scène, prépare une grande production pour la Metro-Goldwyn-Mayer, Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, une fresque se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale, mettant en scène une famille riche déchirée entre le côté nazi et le côté allié. Vincente est en quête d'acteurs pour étoffer son casting international. Visconti organise un dîner entre Minnelli et Delon. L'Américain est conquis, et informe aussitôt la MGM qu'il a trouvé la perle rare. À Hollywood, une enquête rapide aboutit cependant à une double conclusion : la célébrité de Delon se limite au marché européen et son accent français est trop marqué. Delon est écarté.
  • Mais Minnelli n'est pas le seul à remarquer Delon. La Warner a l'idée de produire un remake de la célèbre trilogie de Marcel Pagnol, avec des acteurs français jouant en anglais. Il s'agit en réalité de l'adaptation de Fanny, une comédie musicale à succès de Broadway. Alain Delon est évoqué pour incarner Marius, mais le réalisateur Joshua Logan choisit finalement Horst Buchholz.
  • Simultanément, les producteurs britanniques prennent également en considération Delon pour un projet où il partagerait l'affiche avec Marlène Dietrich, Le Visage du plaisir (The Roman Spring of Mrs. Stone), d'après un roman de Tennessee Williams. Le projet ne verra le jour qu'en 1962 et sans Delon.
  • Par ailleurs, l'Américain Anatole Litvak projette de porter à l'écran le roman français Aimez-vous Brahms… de Françoise Sagan. Yves Montand signe ensuite pour l'un des rôles, et comme l'action se déroule à Paris, de nombreux comédiens français sont sollicités. Alain Delon est alors envisagé pour incarner le jeune amant de la séduisante Paula, mais c'est finalement Anthony Perkins qui décroche le rôle.

Ainsi, bien que Delon n'ait pas encore trouvé sa place dans ces productions américaines, son nom commence à circuler, et ce n'est que le début de son ascension.

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Alain Delon dans une scène du film Quelle joie de vivre en 1961.
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Romy Schneider et Alain Delon dans Dommage qu'elle soit une putain de John Ford, Théâtre de Paris, 1961.

À Rome, Alain Delon tourne Quelle joie de vivre (Che gioia vivere) avec René Clément. Il retrouve Visconti, qui lui propose de s'essayer au théâtre. Delon explique cette nouvelle expérience :

« Depuis très longtemps j'avais envie de faire du théâtre. Par amour du théâtre et ensuite parce que parmi tous les jeunes acteurs du cinéma français je suis le seul à n'avoir jamais fait de théâtre ! »

La pièce proposée : Dommage qu'elle soit une putain, un drame élisabéthain de John Ford. Delon confie la traduction du texte à son ami Georges Beaume. Visconti souhaite que Romy Schneider, compagne de Delon, tienne le rôle principal féminin. Les représentations font salle comble, la pièce tourne dans toute l'Europe — Naples, Rome, Milan, Londres, Bruxelles. En revanche, la critique n'est pas tendre. Il revoit à l'issue d'une représentation de la pièce un membre de sa famille : son demi-frère Jean-François.

En parallèle, Alain Delon parvient à se libérer des répétitions pour jouer dans Les Amours célèbres, renouant ainsi avec Michel Boisrond. Le long-métrage comprend quatre histoires : Delon tient un rôle dans l'histoire médiévale, célébrant « l'amour pur et courtois », incarnant un duc de Bavière épris d'une modeste fille de barbier. La même année, Alain Delon commence une carrière d'homme d'affaires en achetant dans le Vieux-Nice, le restaurant La Camargue.

Alain Delon est encore associé à des rôles historiques, car deux sociétés de production envisagent simultanément de financer une nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas : dans les deux projets, l'acteur est pressenti pour le rôle d'Athos. L'une des propositions se démarque, en réunissant Delon dans le rôle d'Athos et Jean-Paul Belmondo dans celui de d'Artagnan. Ce projet retient l'intérêt de Delon, et Alexandre Mnouchkine, déjà producteur de Fanfan la Tulipe, se charge de son financement. Cependant, le second projet avance plus rapidement ; il est porté par Raymond Borderie, qui tente un rapprochement avec Mnouchkine dans l'objectif de fusionner leurs initiatives. Ce dernier refuse et Borderie poursuit seul et mène à bien sa production, confiant le rôle de d'Artagnan à Gérard Barray et celui d'Athos à Georges Descrières. Un autre projet de film historique est envisagé par Abel Gance, qui imagine faire se rencontrer deux personnages fictifs ayant réellement existé : Cyrano de Bergerac et d'Artagnan. Si de multiples acteurs sont envisagés dont Delon, Jean-Pierre Cassel obtiendra finalement le rôle de d'Artagnan, tandis que Cyrano sera incarné par l'acteur américain José Ferrer.

Par ailleurs, David Lean prépare une superproduction autour de la vie de Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d'Arabie. Il a choisi Peter O'Toole pour le rôle principal ; reste à répartir les autres rôles, notamment celui du chérif Ali ibn el Kharish. Parmi les acteurs pressentis figurent Alain Delon et Horst Buchholz, souvent considérés comme concurrents. Les chances de Delon sont sérieuses et il s'exerce à monter un chameau au Jardin des plantes. Toutefois, le calendrier du tournage de Lawrence d'Arabie entre en conflit avec celui du Guépard de Luchino Visconti, projet dans lequel ce dernier veut absolument le voir figurer. Visconti insiste pour que Delon se retire du film de David Lean. Ce retrait arrange Delon ; afin que les deux personnages principaux ne présentent pas des yeux bleus, il aurait dû porter des lentilles foncées qu'il ne supporte pas.

Un autre projet plus contemporain est celui de L'Aîné des Ferchaux. Fernand Lumbroso, producteur de théâtre qui se lance pour la première fois dans le cinéma, achète les droits du roman de Georges Simenon. L'histoire suit un homme d'affaires en cavale et son jeune secrétaire, ancien boxeur ; Delon est initialement engagé pour ce dernier rôle. Michel Simon et Romy Schneider sont également prévus au générique. le tournage doit débuter en juillet 1961 à Madrid, avant de se poursuivre à La Rochelle, Bordeaux et Paris. Cependant, le projet tarde à se concrétiser et Delon préférant tourner L'Éclipse avec Michelangelo Antonioni en Italie, quitte la production.

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Alain Delon et Monica Vitti dans L'Éclipse.

Delon est de retour en Italie pour L'Éclipse (L'Eclisse) de Michelangelo Antonioni, réalisateur salué par la critique internationale grâce à ses deux précédents longs-métrages, L'avventura et La Notte. Le film met en scène Vittoria (Monica Vitti), qui rompt avec son ancien compagnon (Francisco Rabal) pour entamer une liaison avec Piero (Delon), jeune fondé de pouvoir qu'elle connaît à peine. Avant sa présentation à Cannes, L'Éclipse sort en Italie et la presse locale l'accueille avec enthousiasme. À l'international, le film bénéficie d'un accueil critique très favorable, mais son succès auprès du public reste modéré, à l'exception du Japon, où la popularité de Delon attire massivement les spectateurs.

Alain Delon revient en France et apparaît à la télévision avec Le Chien, réalisé par François Chalais. L'histoire qu'il met en scène raconte la rencontre d'un homme avec une chanteuse allemande, dans un établissement de nuit. Le choix d'Alain Delon est motivé par la connaissance de sa passion pour les chiens. Le tournage est mené rapidement et la diffusion a lieu le samedi 10 mars 1962 à 21 h 10 sur l'unique chaîne française.

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Alain Delon pendant le tournage de Marco Polo, en 1962.

Delon change de registre en passant du téléfilm à une superproduction française. Le projet est initié par Raoul Lévy, producteur convaincu du succès des films de cape et d'épée ; il choisit de s'inspirer de l'histoire romancée de Marco Polo. Le projet débute en juin 1957 sous le titre L'Échiquier de Dieu et Lévy pense à Alain Delon pour incarner Marco Polo. La distribution se veut internationale et la réalisation est confiée à Christian-Jaque dès juillet 1957. Alors que le tournage subit plusieurs arrêts, Delon finit par quitter le projet définitivement.

Il enchaîne aussitôt avec Le Diable et les Dix Commandements de Julien Duvivier. Delon y joue dans le sketch Tes père et mère honoreras, tourné à Cabourg et au Théâtre Sarah Bernhardt. L'acteur incarne Pierre, 20 ans, qui découvre que celle qu'il pensait être sa mère est en réalité une actrice, Clarisse Ardant (Danielle Darrieux). Delon poursuit avec L'Amour à la mer, un film réalisé par Guy Gilles. Deux jeunes femmes s'arrêtent devant un cinéma d'art et d'essai où est projeté La Traversée de l'Apparenzia, un film fictif signé Jean Cocteau. Sur l'écran, elles aperçoivent dans une brève scène Juliette Gréco et « l'acteur » Alain Delon.

Un acteur international

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Luchino Visconti en 1972.

Alain Delon a toujours reconnu l'importance déterminante de Luchino Visconti dans son parcours :

« Luchino Visconti fut mon maître, mon ami, mon seul véritable gourou pour employer un terme à la mode. Il m'a appris tout ce que je sais du cinéma, du métier de comédien et aussi de la vie. La plus grande partie de ce que je sais c'est à Luchino Visconti que je le dois. Quand il est mort, une partie de moi-même s'en est allée avec lui. »

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Claudia Cardinale, Burt Lancaster et Alain Delon.

Après une période marquée par le néoréalisme, Visconti souhaite réaliser une œuvre à l'apparence plus classique : il choisit d'adapter Le Guépard (Il Gattopardo), unique roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, publié à titre posthume et devenu un best-seller mondial. L'histoire retrace le destin du prince sicilien Don Fabrizio Salina, un aristocrate détaché de la réalité, qui refuse d'accepter les mutations sociales de son époque, continuant à exercer son autorité selon un modèle révolu. Pour incarner Tancrède, personnage jeune et ambivalent, il pense immédiatement à Alain Delon ; Claudia Cardinale, qui avait déjà joué dans Rocco et ses frères, est choisie pour incarner Angelica. Le choix de l'acteur pour interpréter Salina s'avère plus complexe. Plusieurs acteurs sont envisagés, Goffredo Lombardo propose finalement Burt Lancaster. Les contrats sont signés en novembre 1961. Celui de Delon précise que son nom apparaîtra à l'écran dans une taille équivalente à celui de Lancaster. Le tournage débute le 14 mai 1962 à Palerme. C'est durant le tournage qu'il apprend la naissance d'un enfant, Ari, à Paris, de sa relation passée avec Nico, qu'il refuse de reconnaître comme sien. Le tournage se termine sans Delon, engagé ailleurs. Présenté à Cannes deux mois après sa sortie en Italie, le film obtient la Palme d'or. Lors du tournage d'une scène, Visconti s'emporte publiquement contre l'acteur, un épisode qui, selon Claudia Cardinale, marque la « fin d'une longue entente » entre eux. Par la suite, Delon déclinera les projets ultérieurs de Visconti, notamment Sandra.

Alain Delon est attendu pour jouer dans Mélodie en sous-sol, un film qui s'inscrit dans la tradition du film noir. Ce projet représente pour Delon une série de premières : première collaboration avec Jean Gabin, première expérience sous la direction d'Henri Verneuil, premières répliques signées Michel Audiard, et premier rôle dans un polar classique centré sur un hold-up. À l'origine, le projet naît de l'association entre Gabin, Verneuil et Michel Audiard ; le rôle du jeune voyou est d'abord proposé à Jean-Louis Trintignant. Delon, informé du projet, souhaite y participer coûte que coûte. Reste à obtenir l'aval de Jean Gabin, qui détient un pouvoir de décision important sur le casting : une rencontre est organisée en décembre 1961 en présence de Verneuil et d'Audiard. Gabin, jugeant rapidement son interlocuteur, semble convaincu. Après avoir versé un dédommagement à Trintignant, Delon intègre le tournage de Mélodie en sous-sol, où il incarne Francis, jeune rebelle recruté par Monsieur Charles (Jean Gabin) pour un casse.

Delon s'adapte rapidement à la méthode Gabin. Celui-ci, initialement sceptique, dira finalement :

« Lorsque j'ai appris qu'on avait choisi Delon pour Mélodie en sous-sol, je me suis dit qu'il n'y aura pas d'affinités entre nous. J'ai eu tort. J'aime beaucoup ce môme-là. Son sérieux en impose à tous. Il travaille comme un forcené. Il discute quand il trouve qu'une indication, un jeu de scène ne lui convient pas. C'est un battant. J'aime ça. »

Mélodie en sous-sol sort en mars, avant Le Guépard. Avec plus de 3,5 millions d'entrées, le film se classe septième au box-office. Delon, seul acteur avec deux films dans le top 10 cette année-là (Le Guépard et Mélodie en sous-sol), entame une nouvelle phase de sa carrière. Alain Delon apparaît brièvement dans La Femme rousse, réalisé par Helmut Käutner. Le film raconte l'histoire d'une femme d'une quarantaine d'années, lassée de son existence conjugale, qui quitte l'Allemagne pour s'installer à Venise. Delon y figure de façon furtive. Delon fait aussi une apparition dans Carambolages, film réalisé par Marcel Bluwal, comédie se déroulant dans le milieu de la publicité et traitant de l'ambition professionnelle. Le rôle principal, celui d'un directeur tyrannique, est interprété par Louis de Funès. Delon y rend visite à Jean-Claude Brialy, acteur central du film, et fait une brève apparition à la fin.

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Stevan Kragujevic, Dorothy Dandridge et Alain Delon à Belgrade lors du tournage de Marco Polo (1962).

Après l'échec du projet Marco Polo, Delon garde l'envie de jouer dans un film d'aventure. Ce sera La Tulipe noire. Le film, doté d'un budget important, est réalisé par Christian-Jaque, également à la tête du projet Marco Polo. Initialement, le rôle principal devait être confié à Anthony Perkins, mais son indisponibilité ouvre la voie à Delon. L'intrigue se déroule à la veille de la Révolution française, avec un justicier masqué surnommé La Tulipe noire ; Delon y interprète un double rôle, celui des frères Guillaume et Julien. Le tournage débute en juin 1963, principalement en Espagne ; Delon y séjourne avec Francine Casanova (plus tard Nathalie Delon). Lorsqu'un photographe tente de prendre des clichés, Delon intervient et récupère la pellicule de force : cela entraîne une plainte puis une arrestation. L'incident n'empêche pas la presse internationale de publier d'autres images, rendant la relation Delon–Nathalie publique. Le 16 août 1963, Georges Beaume remet à Romy Schneider un texte signé Delon : il annonce la rupture. Le tournage se termine et La Tulipe noire sort finalement avec deux mois de retard. Le film attire 3 millions de spectateurs en France et connaît un certain succès à l'échelle mondiale (notamment en Union soviétique où il cumule 47 millions d'entrées ; en Hongrie, il se classe sixième de l'année avec 1 470 000 entrées).

Alors que le tournage de La Tulipe noire n'est pas encore terminé, celui des Félins commence. Par coïncidence et nécessité climatique, les deux productions se déroulent en partie à Nice, simultanément. Delon retrouve René Clément, qui lui propose un projet policier sous le titre provisoire Ni saints, ni saufs ; le récit met en scène un jeune play-boy impliqué avec une Américaine fortunée. Pourchassé par des gangsters agissant pour le compte du mari de celle-ci, il trouve refuge sur la Côte d'Azur, où une veuve mystérieuse s'intéresse à lui. Engagé comme chauffeur, il découvre une réalité bien différente derrière l'apparence luxueuse de la villa. La MGM s'occupe de la distribution mondiale du film et impose une actrice américaine dans le rôle principal féminin. En mai 1963, Delon se rend à Hollywood pour explorer les pistes : il rencontre Angie Dickinson ou encore Jane Fonda, qui est finalement choisie par Clément. Le rôle de la milliardaire revient à Lola Albright et le tournage débute le 1er octobre 1963.

Jane Fonda s'exprime sur Delon dans la presse :

« Je l'adore. Il est si beau. D'ordinaire, les acteurs beaux sont méchants. Lui, non. Il est sérieux et travaille comme un dingue. Il réussira en Amérique. Il est plein d'ambition et, de plus, possède déjà aux States beaucoup d'admirateurs. »

Il ne peut assister à l'avant-première des Félins à Paris, car il est au Japon pour une rétrospective de ses films.

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De gauche à droite : François Truffaut, Marie Laforet, Alain Delon et Françoise Brion lors du 3e Festival du film français à Tokyo.

Delon, au tournant de sa carrière, cumule une quinzaine de films, une pièce de théâtre, et plusieurs apparitions télévisées. Il figure par ailleurs parmi les acteurs français les mieux payés et la Cinémathèque française organise en mars 1964 un Festival Alain Delon.

Une première société de production

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Aussi, Alain Delon continue de recevoir de nombreuses propositions de rôles : l'acteur souhaite la création de sa propre société de production. Delon s'associe avec le journaliste Georges Beaume, qui élargit alors ses activités professionnelles : leur société, baptisée Delbeau, tire son nom des débuts de leurs patronymes.

À 29 ans, Delon ambitionne de produire un film conçu par Alain Cavalier. Le projet passe par différents titres : Lettre à ma mère, La Mort du loup (inspiré d'un poème de Vigny), Au bout de la nuit (référence à Céline), puis La Montagne de Kabylie, avant d'aboutir finalement au titre L'Insoumis. Alain Cavalier choisit Delon pour son passé militaire :

« J'ai fait L'Insoumis parce que je voulais tourner un film avec Delon. J'ai parlé avec lui, il m'a raconté sa vie et le plus intéressant pour moi était cette période très incertaine qu'il a passée en Indochine pendant trois ans. Petit à petit, je me suis dit que le meilleur moyen d'approcher le comédien serait de profiter des circonstances mêmes de sa vie pour écrire une histoire qui tienne debout. »

Le personnage principal, Thomas, est un déserteur luxembourgeois de la Légion étrangère, désillusionné sur la guerre d'Algérie. Pour financer son retour, il participe à l'enlèvement d'une avocate venue défendre deux « terroristes » ; le personnage meurt à la fin du film. Jeanne Moreau est contactée pour le rôle féminin mais elle refuse. Romy Schneider est envisagée mais elle est jugée trop jeune pour le rôle ; Delon choisit finalement Lea Massari. Cavalier perçoit 100 000 francs, tandis que Delon touche sept fois plus. En raison du sujet, le tournage ne peut se faire en Algérie et a lieu dans le sud de la France. Le 6 mai 1964, Delon chute d'une dizaine de mètres. Il souffre d'un hématome et de multiples déchirures musculaires, et reste immobilisé cinq jours. L'acteur est également confronté à des difficultés personnelles : Nico lui rend visite avec leur fils Ari. Le film sort en septembre 1964. La commission de censure demande la suppression de quelques plans mais une plainte judiciaire change tout : l'avocate Mireille Glaymann, autrefois enlevée par l'OAS, s'identifie au personnage du film et porte plainte, demandant l'interdiction du film et 250 000 francs. Le tribunal ordonne le retrait du film. La société Delbeau fait appel, sans succès immédiat. Interdit en France et à l'export, le film devient un fardeau ; Delbeau cesse ses activités peu après. Avant la fermeture, elle produit Le Journal d'un combat, court métrage sur le peintre Francis Savel où Delon en assure la narration. Ce n'est qu'en décembre 1967 qu'un jugement autorise la diffusion du film, sous conditions.

Delon, découragé, se tourne vers les États-Unis.

Excursion à Hollywood

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Depuis 1964, Alain Delon est lié par contrat à la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) pour un total de cinq films. Trois productions, toutes d'origine française, ont déjà été réalisées : Les Félins, Mélodie en sous-sol et L'Insoumis. La MGM souhaite désormais que l'acteur prenne part à des projets qu'elle sélectionne elle-même. Le premier est un film à épisodes intitulé La Rolls-Royce jaune (The Yellow Rolls-Royce), centré autour d'une voiture de luxe et conçu pour réunir un ensemble de stars internationales, dont la notoriété est reflétée dans leur rémunération respective :

  • Shirley MacLaine : 560 500 $
  • Ingrid Bergman : 275 000 $
  • Rex Harrison : 240 000 $
  • Alain Delon : 99 000 $
  • George C. Scott : 75 000 $
  • Omar Sharif : 75 000 $
  • Jeanne Moreau (aucune scène en commun avec Delon) : 67 600 $

Dans le segment italien, Delon incarne un photographe originaire d'Italie. Il y partage l'écran avec Shirley MacLaine, qui interprète Mae, propriétaire de la Rolls et épouse d'un mafieux interprété par George C. Scott. Le personnage féminin décide finalement de quitter son amant pour lui éviter d'éventuelles représailles. Le tournage est l'occasion pour Delon de jouer en anglais, avec un accent italien.

Sur la scène internationale, sa notoriété s'affirme : la MGM envisage sérieusement de l'intégrer à l'industrie hollywoodienne. À l'été 1964, Delon prépare son départ pour les États-Unis. Le 13 août 1964, Alain Delon épouse Nathalie à La Ville-aux-Clercs, village du Loir-et-Cher. Pour leur voyage, le couple embarque sur le France. À leur arrivée, la MGM prend en charge leur accueil et une réception est organisée par l'ambassadeur Hervé Alphand. À Hollywood, le couple s'installe dans une villa au 612 Beverly Drive. Delon fréquente les événements mondains et rencontre Robert Evans : cette rencontre marque le début d'une longue amitié. Evans, qui a un projet de biopic sur Maurice Chevalier, propose à Delon d'en tenir le rôle principal, et à Brigitte Bardot celui de Mistinguett. Le projet est annoncé publiquement, relayé dans Le Monde du 29 décembre 1965, mais sera abandonné faute de financement. Le , Alain Delon se trouve au Cedars of Lebanon Hospital, à Los Angeles, en attente de la naissance de son premier enfant : son fils, Anthony ; prénommé selon une tradition familiale consistant à choisir des prénoms débutant par la lettre A.

En parallèle, la MGM valorise l'acteur français : Delon est imposé et invité à la cérémonie des Oscars pour remettre le prix des meilleurs effets spéciaux. Il y fait une brève apparition télévisée. Bob Hope, maître de cérémonie, l'introduit en ces termes :

« Chaque année, la cérémonie des Oscars devient de plus en plus internationale. Ce soir, une touche de charme est ajoutée par un jeune Parisien, venu à Hollywood pour démontrer que 50 millions de femmes françaises ne peuvent avoir tort : Mister Alain Delon... Content de vous voir. Bienvenue à Hollywood, Alain. »

La MGM et Delon se retrouvent autour d'un polar : Once a Thief, adaptation du roman Scratch a Thief de Zekial Marko (alias John Trinian), déjà auteur du roman à l'origine de Mélodie en sous-sol. La production est supervisée par Jacques Bar. Réalisé par Ralph Nelson, Delon y incarne Eddie, un immigré italien ancien braqueur, tentant de se réinsérer, mais entraîné malgré lui par son frère dans un nouveau coup. Le film, en partie tourné en langue italienne, reçoit un accueil critique mitigé aux États-Unis. En France, le film est distribué sous le titre Les Tueurs de San Francisco. Il obtient le prix de l'Office catholique international du cinéma au Festival de San Sebastián, mais le film ne rencontre qu'un succès modéré : 749 282 entrées. Un autre projet est ensuite évoqué : Ready for the Tiger, à nouveau avec Peckinpah mais le film ne sera pas tourné. Delon décide de rentrer en France : il estime que la langue anglaise reste un obstacle majeur, tout comme la lenteur des studios à concrétiser les projets et le déracinement. Il n'exclut cependant pas un retour aux États-Unis à condition de recevoir des propositions concrètes :

« Mon rêve serait de faire un film par an aux États-Unis et un autre en Europe. Si vous voulez devenir une star internationale vous devez avoir votre place dans les films américains car ils sont les seuls à bénéficier d'une distribution vraiment mondiale. Cela ne prend qu'un an à un Américain d'être connu dans le monde entier alors que les acteurs français considèrent comme une grande victoire que leur film est projeté à New York. À cause de mon accent je ne pourrais jamais jouer un Américain mais je continue de travailler à supprimer mes intonations pour pouvoir jouer n'importe quelle nationalité. »

En France, plusieurs projets cinématographiques sont envisagés, dont Monsieur le Président, roman traitant d'une dictature sud-américaine. Alain Delon est envisagé pour le rôle de « Visage d'ange », homme de confiance du dictateur. Le projet stagne, puis est finalement abandonné par Robert Enrico. À ces projets inaboutis s'ajoutent certains refus de Delon : Opération Opium, réalisé par Terence Young et On a volé la Joconde, proposé par Jean-Pierre Melville.

Delon, qui quitte la MGM avant de tourner le cinquième film prévu par contrat, signe avec Columbia un contrat non exclusif pour deux films à réaliser sur cinq ans.

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Alain Delon dans Les Centurions.

Le tournage du film Les Centurions, adaptation du roman de Jean Lartéguy, débute le 15 mai 1965 en Espagne. Réalisé par Mark Robson, le film, tourné principalement à Alameda del Valle et dans d'autres régions espagnoles, bénéficie d'un budget élevé et d'un dispositif technique conséquent. Anthony Quinn incarne le colonel Raspeguy, inspiré de Marcel Bigeard. Alain Delon, George Segal, Maurice Ronet et Jean Servais complètent la distribution masculine ; Michèle Morgan et Claudia Cardinale incarnent les rôles féminins. Dans l'avion du retour, Delon fait la connaissance de Mireille Darc. Les Centurions sort en octobre 1966 en France après une première aux États-Unis ; malgré des critiques mitigées, il dépasse les quatre millions d'entrées.

Dans Paris brûle-t-il ?, Alain Delon interprète Jacques Chaban-Delmas. Le film, inspiré du best-seller de Lapierre et Collins, bénéficie du soutien du général de Gaulle, qui accepte une aide logistique mais refuse d'être représenté à l'écran. Le tournage, entamé le , mobilise d'importants moyens humains et techniques. Paris brûle-t-il ? est un succès en France mais ne répond pas aux attentes de la Paramount. Ce film marque par ailleurs la dernière collaboration entre René Clément et Delon.

Enfin, la Columbia propose à Delon un film sur la jeunesse fictive de Cervantes. Le projet, retardé, change de distribution et la Columbia abandonne finalement le projet. À la même période, Alain Delon poursuit sa trajectoire aux États-Unis : il signe avec Universal et s'embarque pour un western parodique, Texas Across the River. En décembre 1965, Alain, Nathalie et leur fils Anthony s'installent d'abord au Beverly Hills Hotel avant d'emménager dans une villa sur les hauteurs d'Hollywood. Le tournage débute le 18 janvier 1966, aux côtés de Dean Martin, vedette du film ; Delon y interprète un noble espagnol accusé à tort d'un meurtre, qui prend la fuite vers le Texas. Le film est réalisé par Michael Gordon, habitué aux comédies romantiques. Texas Across the River rencontre un succès relatif avec 4,5 millions de dollars de recettes en deux mois (Top 20 des succès de 1966).

Retour en Europe

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Alain Delon et Odile Poisson dans le film Les Aventuriers, sorti en 1967.

De retour en Europe, Delon s'implique dans Les Aventuriers aux côtés de Lino Ventura, un projet évoqué par ce dernier à José Giovanni et adapté librement par Robert Enrico. Delon se prépare en suivant des cours de plongée et change d'apparence. Le tournage, entamé à l'automne 1966, se déroule entre Paris, La Rochelle, l'île d'Aix, Dakar, et Djerba. En parallèle, il enregistre Laetitia, chanson inspirée du film, sur une musique de François de Roubaix. Ce 45 tours rencontre un certain succès mais Delon ne poursuit pas dans cette voie, malgré les sollicitations d'Eddie Barclay. Sorti en avril 1967, Les Aventuriers est salué par la critique et plus de trois millions de spectateurs viendront voir le film.

Delon s'engage ensuite dans le projet Histoires extraordinaires, dont l'objectif est de porter à l'écran quatre récits différents d'Edgar Allan Poe. À l'origine, les producteurs français et italiens envisagent de confier les segments à Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Joseph Losey et Roger Vadim. Alain Delon fait savoir qu'il souhaite collaborer avec Louis Malle. Le réalisateur choisit William Wilson, une nouvelle publiée en octobre 1839. L'histoire, initialement située en Angleterre, est transposée dans l'Italie du XIXe siècle. Le personnage principal, Wilson, est un aristocrate perturbé, enclin à la cruauté : il agit sous l'emprise de pulsions que seul un mystérieux double semble pouvoir contenir. Le tournage du segment William Wilson débute en avril 1967 à Castel Fusano, à une trentaine de kilomètres de Rome. Les producteurs proposent à Malle de contacter Brigitte Bardot, avec qui il a déjà travaillé deux fois. Son personnage est secondaire par rapport à celui de Delon, qui apparaît dans presque toutes les scènes. Les rapports entre Delon et Bardot évoluent favorablement durant le tournage ; une complicité se noue. Bardot écrira plus tard :

« Je considère aujourd'hui Alain Delon comme un des acteurs français les plus beaux, les plus authentiques, les plus capables de remplacer Gabin ou d'autres. Son talent est irréfutable, son physique a évolué comme son caractère, il s'est durci, s'est embelli. »

Si une réelle amitié naît entre Delon et Bardot, les relations entre l'acteur et Louis Malle sont beaucoup plus tendues : Histoires extraordinaires sera leur seule et unique collaboration. Le film est présenté hors compétition au Festival de Cannes 1968, en raison de la présence de Louis Malle dans le jury. Il s'agit de l'un des rares films projetés, car quelques jours après le début du festival, l'événement est interrompu sous la pression d'un groupe de cinéastes protestataires, dont Malle lui-même. Le contexte social de Mai 1968 se répercute alors jusqu'aux écrans. Un mois plus tard, le film sort en salles. Le public de la capitale accueille positivement ces adaptations de l'univers d'Edgar Allan Poe, contrairement au public de province. Le film enregistre un peu moins d'un million d'entrées sur le territoire français.

Le héros solitaire de Melville

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En affichant en ouverture de son film une fausse citation - « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle... Peut-être... » - attribuée à tort au bushido, Jean-Pierre Melville annonce son intention de s'écarter des conventions. Le Samouraï ne relève en effet ni strictement du polar ni entièrement du drame. Il s'agit du parcours d'un tueur à gages trahi par ses employeurs et poursuivi par la police, mais l'intérêt réside avant tout dans la forme et l'esthétique du film, qui marqueront durablement les esprits. Dès le départ, le film est pensé pour Alain Delon. Bien que plusieurs tentatives aient été faites, les deux hommes n'avaient encore jamais collaboré. C'est après avoir vu Le Deuxième Souffle que Delon adresse une lettre à Melville pour lui dire qu'il considère ce film comme son œuvre la plus aboutie ; ce geste initie un rapprochement. Melville se rend chez l'acteur pour lui lire son scénario, tiré du roman The Ronin de John McLeod. Delon interrompt la lecture :

« Ça fait sept minutes et demie que vous lisez votre scénario et il n'y a pas encore l'ombre d'un dialogue. Cela me suffit, je fais ce film (...). »

Par l'intermédiaire de Delon, Melville fait la connaissance de Nathalie, son épouse, et l'envisage pour incarner Jane, l'amante et alibi du tueur. Peu convaincue au départ, elle accepte finalement sur l'encouragement de son mari. Le tournage débute le 19 juin 1967 dans les studios de Melville, rue Jenner à Paris ; il est interrompu brutalement par un incendie dans la nuit du 28 au 29 juin. N'ayant pas renouvelé son assurance, Melvillle subit de lourdes pertes et compte sur le succès du film pour se rétablir. Delon met à disposition son hôtel particulier pour les scènes de l'appartement de la pianiste et les tournages reprennent. Melville écrit à propos de sa rencontre avec Delon :

« Je découvrais un acteur humble et d'un immense talent. Nous nous adressâmes très peu la parole, trop occupés à nous déchiffrer. (...) Ce fut pour moi – et, je l'espère, pour lui – une des plus belles lunes de miel que j'aie jamais connues. Voilà la qualité indiscutable d'Alain Delon : c'est un professionnel véritable. Un acteur pour qui rien d'autre n'existe que le film (...). »

Le Samouraï est finalisé à la mi-août et sort en octobre 1967. À sa sortie, le public est d'abord réservé, avec moins de 2 millions d'entrées. Le Samouraï s'imposera progressivement comme un classique incontournable, influençant de nombreux réalisateurs internationaux.

Deux semaines après la fin du tournage du Samouraï, Alain Delon rejoint Julien Duvivier pour un nouveau film policier, Diaboliquement vôtre, adapté du roman Manie de la persécution de Louis C. Thomas. Le film débute par l'histoire d'un homme qui se réveille amnésique à l'hôpital après un accident de voiture survenu alors qu'il roulait à 140 km/h, alcoolisé. Il apprend qu'il est marié à une jeune femme séduisante, qu'il possède une luxueuse propriété, et qu'il aurait été entrepreneur à Hong Kong : une situation qui paraît suspecte. Le tournage a lieu du 21 août au 27 septembre 1967, principalement au manoir de Théméricourt dans le Val-d'Oise. La production est internationale ; le rôle de l'épouse est tenu par l'actrice autrichienne Senta Berger, celui du meilleur ami par l'Italien Sergio Fantoni. Julien Duvivier meurt un mois après la fin du tournage, dans un accident de voiture. Delon supervisera le montage du film. Pendant ce tournage, Delon dépose, le 24 août 1967, une demande officielle de divorce. Un mois plus tard, Nathalie engage à son tour une procédure et s'installe rue François-Ier.

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Affiche du film La Motocyclette au Royaume-Uni.

Delon enchaîne avec La Motocyclette (The Girl on a Motorcycle) de Jack Cardiff, inspiré d'un roman d'André Pieyre de Mandiargues. Après le refus de Brigitte Bardot et le retrait de Susan Denberg, Marianne Faithfull est choisie pour le rôle principal. Le tournage a lieu en octobre 1967 aux studios de Shepperton, puis à Heidelberg et Genève. Si les relations entre les deux têtes d'affiche sont tendues, le public britannique est séduit et classe La Motocyclette au sixième rang annuel du box-office.

Début 1968, Delon s'oriente à nouveau vers le polar avec Adieu l'ami, écrit par Sébastien Japrisot. Il cherche un partenaire à la hauteur et propose un acteur américain : le choix se porte sur Charles Bronson, encore peu connu en Europe. Trois mois sont nécessaires pour convaincre Delon tandis que Bronson finit par accepter après une revalorisation salariale. Le tournage débute à Marseille le 15 janvier 1968, avec de nombreux figurants et décors militaires. Jean Herman dirige les deux acteurs aux tempéraments opposés.

Bronson déclare à propos de Delon :

« Je pense qu'Alain est un très bon acteur. Ce qu'il fait, il le fait bien. De plus, je le respecte énormément en tant qu'homme. »

En parallèle, Delon prépare son retour au théâtre avec Les Yeux crevés de Jean Cau. Un projet initié à l'automne 1967 et retardé à plusieurs reprises. La première a lieu le 6 avril 1968 : la critique est partagée mais le public répond présent jusqu'aux événements de Mai 68. Le divorce entre Nathalie et Alain Delon est prononcé le . Nathalie conserve la garde de leur fils Anthony et le nom de Delon à la demande du père.

Adieu l'ami sort en août 1968. Malgré la période estivale, le film connaît un large succès avec plus de 2,6 millions d'entrées.

Ébranlé par Mai 68, Delon souhaite davantage de contrôle artistique et fonde Adel Productions, sa propre société de production. Il fait une brève apparition dans Ho! de Robert Enrico, un film dont Jean-Paul Belmondo tient le rôle principal. À l'aéroport d'Orly, vêtu de noir, il incarne un passant qui s'écarte précipitamment pour éviter la décapotable jaune conduite par Joanna Shimkus. Déstabilisé, ce personnage sans nom trébuche en accrochant le rebord du trottoir.

Passage dans la chanson

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La musique prend une importance croissante pour l'acteur. Eddie Barclay, son producteur, lui suggère d'interpréter la version française de The Windmills of Your Mind (Les Moulins de mon cœur), composée par Michel Legrand. Le disque ne sortira pas avec la voix de Delon, mais Barclay reste convaincu de ses capacités vocales. Delon envisage de son côté une comédie musicale avec Michel Deville et Catherine Deneuve. Il travaille sa voix avec Jean Lumière, étudie des textes de Pierre Delanoë et des compositions de Michel Legrand. Barclay sollicite plus tard Michel Sardou ; celui-ci propose à Delon Les Ricains mais l'acteur préfère une narration musicale. Sardou lui propose alors Si j'avais un frère mais le projet est repoussé.

Une fin de décennie mouvementée

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À l'été 1968, Alain Delon séjourne dans le Var, sur la Côte d'Azur pour participer à un tournage. Le réalisateur Jacques Deray lui propose un nouveau projet : La Piscine, un drame sentimental. L'intrigue met en scène Jean-Paul et Marianne, en couple depuis deux ans, qui passent l'été dans une villa de Saint-Tropez prêtée par un ami. Le calme est perturbé par l'arrivée d'Harry, accompagné de sa fille de 18 ans, Pénélope. Jean-Paul soupçonne Marianne d'avoir eu une liaison avec Harry, ce qu'elle ne confirme pas clairement. En réaction, il se rapproche de Pénélope. Une provocation de la part d'Harry conduit à un drame : Jean-Paul le noie dans la piscine et maquille le crime en accident. Jean-Claude Carrière est chargé du scénario et des dialogues. Le rôle principal masculin est d'abord envisagé pour Daniel Gélin, mais le producteur Gérard Beytout s'y oppose. Maurice Ronet est alors contacté et accepte rapidement. Pour le rôle féminin, Monica Vitti et Delphine Seyrig sont sollicitées, mais elles sont finalement écartées du projet. D'autres noms sont envisagés : Claude Rich, James Fox, Leslie Caron, Natalie Wood, Angie Dickinson. Finalement, Alain Delon manifeste un vif intérêt pour le projet et propose d'incarner Jean-Paul aux côtés de Ronet et suggère Romy Schneider pour le rôle de Marianne. Selon ses propres mots :

« "Ce sera elle ou personne d'autre". Romy à ce moment-là ne faisait plus rien, elle était en Allemagne. Et comme j'ai un certain caractère et même un caractère certain, j'ai dit "Ce sera Romy Schneider ou sinon il n'y aura pas de film". [...] C'est une question de feeling, d'instinct, je ne voyais personne d'autre qu'elle. J'aimais l'histoire, j'aimais tellement le film... Quand je lis un scénario, je visualise, et là c'était avec elle. »

Delon propose de se rendre en Allemagne avec Deray pour convaincre Romy Schneider ; elle obtient finalement le rôle, relançant ainsi sa carrière. Delon accueille Schneider à l'aéroport de Nice et leurs retrouvailles, très médiatisées, marquent les esprits. Pendant les préparatifs, Delon loge chez Bardot dans une dépendance de La Madrague. Le tournage débute le 16 août 1968 au domaine de l'Oumède, entre Ramatuelle et Saint-Tropez. La sortie est prévue en janvier 1969. Le film rencontre un franc succès à l'international et devient une œuvre récurrente sur le petit écran. Le long-métrage consolide durablement l'image du duo Delon-Schneider, perçu comme l'un des couples les plus emblématiques du cinéma.

Alain Delon, toujours en recherche de nouveaux projets, envisage de tourner un film avec Mireille Darc. Cependant, un événement extérieur vient perturber leur relation car Delon est appelé à répondre à des interrogations dans le cadre d'une affaire judiciaire : son secrétaire, Stevan Markovic, vient d'être retrouvé mort. L'affaire débute officiellement le .

Delon, alors très sollicité, continue de recevoir des propositions. Il décline Bye Bye Barbara de Michel Deville, Deux affreux sur le sable avec Melina Mercouri, Par le sang versé que Michel Audiard souhaite adapter et Solo de Jean-Pierre Mocky. Jean-Pierre Melville proposera à Delon le rôle de Philippe Gerbier dans L'Armée des ombres mais ce sera finalement Lino Ventura qui l'incarnera. Il renonce aussi à La Violence et la Dérision d'Albert Cossery, qu'il devait produire. Selon Valeurs Actuelles, il est alors l'un des acteurs les mieux rémunérés en France avec 3 millions de francs par film, derrière Jean-Paul Belmondo (5 millions) et Louis de Funès (3,5).

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Alain Delon lors du tournage du Clan des Siciliens à l'aéroport de Rome en 1969.

Delon s'impose un peu plus comme figure du film policier en retrouvant Henri Verneuil pour Le Clan des Siciliens. Il interprète un criminel endurci au lourd passé judiciaire, recueilli par organisation mafieuse familiale dirigée par Vittorio Manalese (Jean Gabin) et poursuivi par un commissaire (Lino Ventura). Le film repose sur le détournement d'un avion orchestré par ce « clan des Siciliens ». Le tournage est réalisé en deux langues, exigence contractuelle imposée par la Fox. Gabin et Delon maîtrisent l'anglais mais pas Ventura. Finalement, tous les dialogues sont doublés par des comédiens américains ; Delon conserve sa propre voix. La campagne de promotion met en avant la réunion des trois vedettes. L'accueil est triomphal et le film se classe au troisième rang des plus gros succès au box-office 1969.

La puissance de l'acteur-producteur (1969-1977)

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Débuts éclatants d'Adel Productions

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Depuis la sortie du film Jeff, Alain Delon est à la tête de sa propre société de production, Adel Productions, à travers laquelle il cherche à développer des projets originaux. Parallèlement, il demeure très intéressé par l'histoire de la pègre française. C'est dans ce contexte qu'un de ses proches lui recommande la lecture de Bandits à Marseille, ouvrage signé par le journaliste Eugène Saccomano,. L'ouvrage contient une photographie de Delon aux côtés de Barthélemy Guérini, figure notable du milieu marseillais. Saccomano se souvient :

« À cette période, tous les médias se passionnaient pour Guérini, un des derniers vrais gangsters marseillais. Je me suis vite aperçu que l'histoire du milieu n'avait jamais été récapitulée dans un ouvrage. Je me suis donc lancé dans l'écriture de Bandits à Marseille. [...] Alain Delon a découvert le livre pendant le tournage de La Piscine pour passer le temps entre deux scènes. Un des chapitres a provoqué un déclic chez lui : celui sur les gangsters Carbone et Spirito (...). La production a souhaité racheter les droits. »

Delon acquiert les droits du livre et fait appel à Jean Cau et Claude Sautet pour rédiger une première version du scénario,. Delon propose à Jacques Deray de demander à Jean-Paul Belmondo de jouer l'un des deux personnages. Il explique :

« Depuis cinq ans, je voulais tourner avec Jean-Paul parce que c'est bien de faire tourner ensemble les deux plus grandes vedettes de leur génération. [...] Si c'est de la prétention de dire ça ? Non. De la lucidité !. »

Le 15 mars 1969, Belmondo signe avec Adel Productions et le tournage est prévu pour le 15 septembre. Une reconstitution fidèle du Marseille des années 1930 est engagée et Jean-Claude Carrière est chargé, en urgence, de modifier le scénario pour adapter les coûts. Le climat à Marseille devient tendu car l'équipe rencontre de nombreuses réticences. Selon Deray, des personnes liées à la famille Carbone feraient pression : ils acceptent que le film soit tourné, mais demandent un changement de titre. Le titre Borsalino est proposé par Delon ; il le justifie par la popularité du chapeau italien à l'époque. La sortie est fixée au 20 mars 1970 et une première bande-annonce est diffusée dès les fêtes de fin d'année, une première en France. Dès la première semaine, Borsalino connaît le succès à Paris, dépassant le record détenu par Le Livre de la jungle. Le film franchit les 4,7 millions d'entrées en France, et est également bien accueilli à l'international, notamment en Italie (en tête du box-office). Delon fait la promotion du film à l'international, notamment aux États-Unis, où il participe au Dick Cavett Show. Borsalino est par ailleurs nommé aux Golden Globes 1971 comme meilleur film étranger.

Éclectisme

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Jean-Pierre Melville relance un projet autour de trois criminels réunis pour un casse. Après plusieurs essais de casting, le réalisateur arrête son choix sur Yves Montand, Bourvil et Alain Delon. Bourvil, affaibli par la maladie, accepte l'un de ses rares rôles dramatiques et retrouve Delon :

« Delon a fait une ascension extraordinaire. Quel acteur ! Il évolue bien avec son âge. »

Le tournage débute le 26 janvier 1970. Le Cercle rouge sort en octobre 1970 et connaît un succès comparable à Le Clan des Siciliens. Delon enchaîne ainsi trois succès majeurs. Parmi d'autres projets évoqués mais non réalisés avec Delon, figurent Les Derniers Aventuriers, L'Ours et la Poupée, Papillon ou encore Les Carrossiers de la mort. Robert Evans pense à Delon pour Le Parrain, mais Coppola opte pour Al Pacino.

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Incarnant sa compagne Maddly dans la vraie vie, l'actrice Jane Davenport aux côtés de son autre maîtresse Mireille Darc en 1969, sur le tournage du film Madly, en Italie.

À l'été 1970, Alain Delon rend visite à Mireille Darc, alors en plein tournage du film Fantasia chez les ploucs en Italie, dirigé par Gérard Pirès. Lors d'un échange avec Pirès, Delon lui demande s'il peut apparaître brièvement à l'écran pour dire un mot unique, sans rémunération. Le réalisateur lui propose une scène adaptée : Delon y apparaît barbu, affublé d'un chapeau et de lunettes noires, qu'il retire pour dévoiler son regard. Il prononce alors un seul mot et cette scène clôturera le film. Delon soutient également Mireille Darc dans un projet personnel : elle a écrit un scénario intitulé Madly, tiré de ses expériences. Ce scénario puise dans l'intime de l'actrice : Delon entretient simultanément une relation avec Mireille et Maddly Bamy, une danseuse rencontrée lors d'une émission avec Claude François. Darc, informée de cette liaison, choisit de l'accepter et cette relation à trois dure environ un an. Madly raconte l'histoire de Julien et Agathe, un couple vivant dans une ferme du XVIIIe siècle. Leur relation bascule avec l'arrivée d'une Américaine, Madly. Delon accepte de produire le film et d'y jouer le rôle principal, cherchant à s'éloigner de ses rôles de gangster pour incarner un personnage romantique. Mireille Darc, d'abord réticente, finit par accepter le rôle féminin. Le film est tourné avec un budget limité et Delon engage son demi-frère comme assistant réalisateur. Lors de l'avant-première de Madly au Paramount Opéra, la réception est mitigée. Le film ne rencontre ni succès critique ni public. Malgré l'échec, Delon finance un nouveau projet : Sortie de secours, également sans succès.

Suivra une comédie intitulée initialement Deo Gratias, signée Pascal Jardin. Jacques Deray, réticent, accepte de la réaliser à la demande de Delon ; Nathalie Delon accepte de jouer dans le film. Le tournage débute le 14 décembre 1970 et se déroule en Bretagne. Le film, finalement intitulé Doucement les basses est un échec commercial. Enfin, il participe au western Soleil rouge, aux côtés de Charles Bronson et Toshiro Mifune. Le film, conçu pour le marché asiatique, est tourné en Espagne. Delon y incarne Gosh, un bandit gaucher. En France, le film réunit 3, 3 millions de spectateurs, se classant septième au box-office 1971. La production rencontre aussi un succès international, en particulier au Japon où reste à l'affiche trente-cinq semaines consécutives (un record).

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Alain Delon dans La Veuve Couderc.

Alain Delon accepte de jouer dans La Veuve Couderc, adaptation d'un roman de Georges Simenon, réalisée par Pierre Granier-Deferre. Le film, qui s'éloigne du récit original, situe l'action dans un village du Val de Saône en 1934. Le personnage principal, Jean Lavigne, évadé du bagne, trouve refuge chez une femme plus âgée, la veuve Couderc. La relation entre les deux protagonistes et leur fin commune remplacent le dénouement plus brutal du roman. Le tournage repose en grande partie sur la rencontre entre Alain Delon et Simone Signoret. Le tournage débute dans une ambiance tendue ; les loges des deux acteurs sont côte à côte, et une rivalité immédiate s'installe. Malgré leurs divergences politiques marquées, Delon et Signoret coopèrent. Dans son autobiographie, Signoret écrit :

« [...] On est heureux quand on travaille ensemble parce qu'on travaille bien ensemble [...]. Quand il me dit une réplique et qu'il me regarde, je suis très contente, cela fonctionne formidablement [...]. »

De son côté, Delon déclare :

« C'est une actrice pour qui j'ai un énorme respect et une grande admiration sur le plan de la comédienne, et sur le plan personnel aussi. [...] C'est avec Simogne et Annie Girardot que j'ai eu mes plus grandes joies de comédien. »

La Veuve Couderc rassemble plus de 2 millions de spectateurs en France.

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Romy Schneider et Alain Delon durant le tournage du film.

Delon participe ensuite à un projet politique : L'Assassinat de Trotsky, d'abord envisagé par Costa-Gavras, puis repris par Joseph Losey. Richard Burton accepte le rôle principal et Romy Schneider celui de la secrétaire de Trotsky. Delon incarne l'assassin, Frank Jackson. Le tournage commence au Mexique en août 1971. En raison de tensions avec les autorités mexicaines, le tournage est in fine déplacé à Rome. Burton, initialement sceptique sur les capacités de Delon, change d'avis :

« J'ai travaillé avec Delon toute la journée d'hier. C'est un bien meilleur acteur que je ne le croyais. Très sensible et tout ça. Agréable surprise. »

Mal accueilli, le film est interdit dans plusieurs pays. Delon apparaît furtivement dans Il était une fois un flic de Georges Lautner. Plus tard, lors d'une intervention télévisée, Alain Delon déclare :

« Si j'ai un bon rôle de policier un jour, je serai ravi de l'interpréter. Il se trouve que ce sont plus souvent des rôles de gangster qu'on me présente, mais j'attends un vrai rôle de policier. »

Présent sur le plateau, Jean-Pierre Melville prend note ; peu après, il propose à Delon un rôle de commissaire. Le film s'intitulera Un flic. Le récit met en scène un braquage de drogue à bord d'un train, effectué grâce à une ligne droite de 65 kilomètres, en travaux, où un hélicoptère dépose un malfaiteur sur le toit. Celui-ci dispose de vingt minutes pour effectuer l'opération. Souhaitant apporter une touche américaine à sa réalisation, Melville envisage Robert Ryan pour le rôle du gangster, mais doit se tourner vers Richard Crenna, inconnu du public français. Catherine Deneuve est choisie pour incarner Cathy, maîtresse à la fois du policier et du gangster. Elle accepte et Delon, de son côté, interprète le commissaire Édouard Coleman. Un flic sort le 25 octobre 1972. La critique se montre très sévère mais le public est au rendez-vous : près d'1,5 million d'entrées.

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Alain Delon tourne en Italie le film Le Professeur en 1972.

La suite de la carrière de Delon est marquée par Le Professeur de Valerio Zurlini. Le rôle principal, d'abord destiné à Marcello Mastroianni, est proposé à Delon qui accepte, coproduit le film, et participe à la musique du générique en intégrant le jazzman Maynard Ferguson. Delon incarne un professeur de lettres désabusé et amoureux d'une de ses élèves. Le tournage à Rimini se déroule dans un climat tendu entre Delon et Zurlini mais malgré ces différends, l'interprétation de Delon est unanimement saluée. Le film connaît un succès important en Italie, contrairement à la version française. Après Le Professeur, Delon coproduit L'uccello migratore, une comédie sociale de Steno, projetée en France sous le titre Elles sont dingues ces nénettes. Le film est un échec commercial et Delon n'en fait pas la promotion. La même année, le président du Conseil des ministres italien, Giulio Andreotti, remet le prix David di Donatello pour son « éminente collaboration aux productions franco-italiennes ».

En décembre 1972, il fait une apparition dans Aujourd'hui à Paris… de Pierre Tchernia. Delon enchaîne ensuite avec Scorpio, tourné aux États-Unis, où il retrouve Burt Lancaster. Le tournage a lieu à Paris, Vienne et Washington. Scorpio rencontre un succès modéré en France mais fonctionne mieux à l'international. Avec Traitement de choc, Delon s'aventure comme producteur et acteur dans un thriller aux accents dystopiques. Il y incarne un médecin qui exploite des immigrés portugais pour des traitements de régénérescence réservés à une élite. Annie Girardot est présente à l'affiche. Le film attire 1,8 million de spectateurs.

L'acteur se retrouve au sommet des charts grâce à la chanson Paroles… Paroles…, enregistrée avec Dalida. Le succès est tel que le titre s'impose dans plusieurs pays, y compris le Japon. Des années plus tard, il en reprendra une version avec Céline Dion.

Delon tourne Les Granges brûlées sous la direction de Jean Chapot et le duo Signoret-Delon est reconstitué deux ans après La Veuve Couderc. Le scénario, rappelant l'affaire Dominici, se déroule autour d'un meurtre près d'une ferme familiale dominée par une matriarche incarnée par Signoret. Le juge (Alain Delon) tente de briser le silence d'une famille retranchée. Le tournage débute en décembre 1972 dans le Haut-Doubs. Les conditions de tournage posent problème et l'ambiance se détériore rapidement : Delon finit par diriger ses propres scènes. Les Granges brûlées reçoit un accueil mitigé et le film rencontre un succès inférieur à La Veuve Couderc. Par la suite, Delon enchaîne avec Big Guns : Les Grands Fusils (Tony Arzenta), un polar italien. Les Grands Fusils appartient au registre des thrillers violents ; Delon y joue un tueur à gages qui, en voulant quitter la Mafia, provoque la mort de sa famille. Il entreprend alors une vengeance. Le casting comprend Richard Conte, Roger Hanin, et Marc Porel ; le rôle de l'épouse de Delon est tenu par Nicoletta Machiavelli. Le tournage s'étend de la Sicile à Paris en passant par Rome, Hambourg et Copenhague. En France, le film ne rencontre pas le succès. En Italie, Tony Arzenta est un succès, renforçant la popularité de Delon auprès du public italien.

L'acteur se concentre ensuite sur un projet cinématographique qui lui tient à cœur : Deux hommes dans la ville. Le long-métrage, réalisé par José Giovanni et produit par Adel (société de production de Delon), traite de la réinsertion des anciens détenus et de la peine capitale. Deux hommes dans la ville mêle drame social et polar ; Delon le décrit comme « un procès à la société, à l'humanité, à la justice [...] Pas un jour sans révolte dans les prisons ou suicide. [...] Il n'y a pas matière à un film, mais à quinze ! ». Le récit met en scène Germain Cazeneuve, conseiller à la réinsertion, et Gino, un ex-prisonnier aspirant à une vie paisible. Un malentendu avec la police conduit à une tragédie : Gino, dans un accès de colère, abat un inspecteur. Il sera condamné à mort. Initialement, Giovanni envisageait Delon pour le rôle de Gino et Lino Ventura pour celui de Cazeneuve. Toutefois, Ventura favorable à la peine de mort, refuse de participer à un projet ouvertement engagé contre cette pratique. Delon propose alors Jean Gabin ; ce dernier accepte sans hésitation et le personnage de Cazeneuve est réécrit pour mieux correspondre à son profil. Le casting réunit également Victor Lanoux, Robert Castel, Gérard Depardieu et Bernard Giraudeau. Le tournage débute le 21 mai 1973 à Meaux et s'achève deux mois plus tard à Montpellier. Conformément aux souhaits de Delon et Giovanni, Deux hommes dans la ville est projeté à travers l'Europe pour nourrir le débat sur la peine de mort. Sorti le , il totalise 2,4 millions d'entrées, ce qui lui permet d'être à la treizième place du box-office annuel.

Peu après, Delon apprend le décès de Jean-Pierre Melville, victime d'une rupture d'anévrisme. Cette disparition est d'autant plus douloureuse pour l'acteur que leur relation s'était terminée sur un différend, malgré un projet commun en discussion.

Pierre Granier-Deferre s'attèle à une adaptation de Creezy, roman de Félicien Marceau. Il modifie en profondeur le récit pour privilégier un portrait incisif des hommes politiques. Le personnage principal, Dandieu, devient sous sa plume un homme politique de gauche intelligent et calculateur. Il écrit le rôle en pensant à Alain Delon, « parce que c'est l'histoire d'un homme qui vit toujours dans la fébrilité, la nervosité, la tension. Alain aussi est toujours sous tension. Un ambitieux qui n'arrive pas à assumer l'amour. Alain aussi a soif de marcher, d'avancer, de gagner, de séduire des gens et des choses. Mais, en même temps, il y a une distance entre le personnage et lui. Ce Julien qui veut à tout prix être ministre et qui le devient est un peu mégalomane. Pas Delon ». L'acteur accepte le rôle et s'offre ainsi la possibilité de jouer aux côtés de Jeanne Moreau. La sortie du film, titré La Race des seigneurs, en avril 1974, coïncide avec la mort du président Pompidou. La critique est divisée et Granier-Deferre finira par rejeter le film.

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Mireille Darc et Alain Delon en marge d'une cérémonie de récompenses à Lecce, Italie, en 1974.

Delon poursuit avec l'adaptation du roman Someone is Bleeding de Richard Matheson, traduit en Les Seins de glace. Jean-Pierre Mocky en commence l'adaptation. Alain Delon rejoint la production, à condition que Mireille Darc tienne le rôle principal ; Mocky refuse et quitte le projet. Darc propose Georges Lautner qui accepte et adapte rapidement le scénario. Delon choisit de jouer l'avocat plutôt que l'écrivain, rôle qu'il propose à Claude Brasseur. Le film, aux accents de thriller psychologique, met en scène un écrivain amoureux d'une femme perturbée. Il attire plus de 1,5 million de spectateurs, un succès modéré.

Le succès persistant du quadragénaire

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Alain Delon souhaite prolonger l'univers de Borsalino avec une suite centrée sur le personnage de Roch Siffredi, déterminé à venger la mort de François Capella. La mise en chantier de ce second volet répond aussi à des considérations économiques : Adel Productions, après avoir investi les recettes de Borsalino dans plusieurs films qui n'ont pas été rentables (Madly, Doucement les basses, Le Professeur), cherche à produire une œuvre plus commerciale susceptible de reproduire le succès initial. Le scénario, conçu par Jacques Deray et Pascal Jardin, n'est plus basé sur la véritable histoire de Carbone et Spirito mais se construit comme une fiction, empruntant néanmoins certains éléments aux faits divers des années 1930. La fin de Borsalino and Co suggère une éventuelle suite et Delon envisage une troisième production. Le film réalise toutefois un tiers des entrées du premier volet et ne rencontre pas davantage de succès en Europe, rendant une suite impossible.

Peu après, Alain Delon se tourne vers un personnage de fiction emblématique : Zorro.

« C'est tout simplement mon fils, 9 ans, qui m'en a donné l'idée. Je lui demande, un jour, quel est le personnage qu'il aime beaucoup. Il m'a répondu, comme l'auraient fait la plupart des enfants, Zorro !... D'un autre côté, il y a longtemps que je songe au jeune public, mes films étant souvent interdits aux mineurs [...]. Ce film que j'entreprends devra être un spectacle familial, un Zorro dans la grande tradition. »

L'adaptation s'inspire de la célèbre série télévisée produite par Disney et en reprend même certaines inventions, comme le personnage du sergent Garcia, joué la par Moustache. Tourné en Espagne, le film relate la transformation de Don Diego de la Vega en justicier masqué, dans une veine proche de La Tulipe noire. Delon y incarne plusieurs personnages : le gouverneur, Zorro, le véritable Don Diego, et un paysan. Delon, qui tient à réaliser ses propres cascades, en exécute presque toutes sauf une, déléguée à un cascadeur qui se blesse. La sortie de Zorro bénéficie d'une campagne promotionnelle d'envergure, avec un budget comparable à celui des films de James Bond. Le film, peu performant en France, rencontre un grand succès à l'étranger, notamment en Italie, en Amérique du Sud, en URSS (1976), puis en Chine (1978), où 70 millions de spectateurs sont recensés.

En 1973, Flic Story est publié. L'ouvrage, rédigé par l'ancien policier Roger Borniche, connaît rapidement un grand succès. Il relate la traque d'Émile Buisson, alors considéré comme l'ennemi public numéro un. En mai 1973, Alain Delon rencontre Borniche et lui fait part de sa vision pour une adaptation cinématographique ; un accord est trouvé et Delon incarnera l'inspecteur Borniche. Pour le casting, Delon, avec Deray, fait appel à des comédiens de son entourage : Henri Guybet et Jean-Louis Trintignant. Le film sort en France le 1er octobre 1975. La critique est favorable et le film réunit près de deux millions de spectateurs.

Après ce succès, Delon tourne Le Gitan de José Giovanni. Il y incarne Hugo Sénéart, inspiré du criminel Luciano Lutring. Le film aborde la marginalisation des Gitans et le tournage débute le 12 août 1975. Un mois avant la sortie du film, Delon chante dans une émission dédiée à Michel Sardou : il interprète Le Président de France. Le Gitan sort le 5 décembre 1975 : le film attire un peu moins de spectateurs que Flic Story, mais davantage que Borsalino and Co.

Monsieur Klein, pari risqué

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L'idée initiale du film Monsieur Klein provient de Costa-Gavras, qui, avec le scénariste Franco Solinas, conçoit l'histoire d'un homme paisible, d'origine alsacienne, confondu avec un Juif sous l'Occupation, arrêté puis déporté. Costa-Gavras souhaite d'abord mettre en scène le film et confier le rôle principal à Jean-Paul Belmondo. Néanmoins, le coût de production estimé est jugé trop élevé pour un film dont le potentiel commercial semble incertain. Belmondo renonce ; ce qui entraîne également le retrait de Costa-Gavras. Le producteur Norbert Saada approche Alain Delon, qui se montre très intéressé ; il souhaite également coproduire le film. Costa-Gavras est recontacté, mais refuse, précisant que le film avait été conçu pour Belmondo et qu'il ne se voit pas diriger un autre acteur. Delon poursuit les démarches pendant deux ans sans succès, avant de transmettre le scénario à Joseph Losey. Ce dernier accepte. Le tournage de Monsieur Klein s'achève en mars 1976 et le film sort en salles en septembre de la même année. La prestation de Delon est saluée par la critique. En 1977, Mr Klein remporte trois César : meilleur film, meilleure réalisation (Joseph Losey) et meilleure direction artistique (Alexandre Trauner). Le film est également nommé pour le César du meilleur acteur (Alain Delon), sans l'emporter. Le film est un échec commercial à sa sortie : il attire environ 700 000 spectateurs en France, bien en deçà des attentes. Marqué par cet insuccès, Delon s'oriente désormais vers le seul divertissement.

Renouvellements et déclin progressif (1976-2000)

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Repli sur le divertissement

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Alain Delon, encore en lien étroit avec José Giovanni lui propose de financer un nouveau projet. Giovanni s'inspire alors d'un fait divers réel, l'affaire Bruno Triplet. Il développe l'histoire d'un adolescent de 17 ans qui tue accidentellement un policier lors d'une soirée marquée par la consommation de drogue. Son père, Jacques Batkin, un industriel influent, mobilise tous ses moyens pour tenter de sauver son fils. Ancien caïd du Milieu, Batkin identifie les fournisseurs de drogue comme responsables et décide de les traquer. Mais face à la justice, cela ne suffit pas : son fils est condamné, et Batkin organise son évasion. Le tournage débute le 22 mars 1976 aux studios de la Victorine à Nice. Quatre jours avant, Delon apprend le décès de Luchino Visconti, à l'âge de 70 ans. Profondément affecté, il se replie sur son travail. Comme un boomerang ne rencontre pas le succès escompté en salle.

Roger Borniche, encouragé par le succès rencontré par Flic Story, a continué de relater ses propres expériences dans des ouvrages qui ont rapidement attiré l'attention du monde cinématographique. Les droits du livres Le Gang sont acquis par le dirigeant d'Adel Productions dès la publication. Delon reconduit Jacques Deray à la réalisation. La première affiche du film, présentée au festival de Cannes, montre un Delon aux cheveux courts, au visage fermé, dans la lignée de Flic Story. Cependant, pour son incarnation du bandit Robert « le Dingue », transposition de « Pierrot le Fou », chef du gang des Tractions Avant, Delon insiste pour porter une risible perruque frisée, selon lui destinée à casser les traits de son visage trop lisse, en dépit de l'incompréhension et de la perplexité de tout le plateau,. Environ un million de spectateurs se rendent en salles.

Armaguedon rencontre dès ses premières phases de développement de nombreux obstacles. Après plusieurs années sans issue, le projet est présenté au producteur Raymond Danon, qui en informe Delon. Ce dernier se montre intéressé par le personnage du docteur Michel Ambrose, un spécialiste en psychopathologie criminelle. Dans le scénario, Louis Carrier (Jean Yanne) menace des chefs d'État et souhaite imposer la diffusion d'un film de sa création. Ce personnage instable échappe à la police ; l'enquête est donc confiée au docteur Ambrose, incarné par Delon. Pendant cette période, Delon est affecté par la mort de Jean Gabin, le 15 novembre 1976. Malgré une première semaine correcte, la fréquentation chute rapidement et le film dépasse à peine les 700 000 entrées en France. Delon se tourne alors vers L'Homme pressé, adapté du roman de Paul Morand. Le récit est centré sur un homme absorbé par le monde des affaires. Admirateur de Morand, il s'identifie à ce personnage nerveux, jouisseur, égoïste, courant après le temps. Alain Delon voit dans ce film l'occasion de partager l'affiche avec Mireille Darc, avec qui il forme un duo à l'écran. Le tournage est d'abord prévu pour décembre 1974 mais le projet est suspendu. Il faudra attendre plus de deux ans pour qu'il soit relancé, cette fois avec Édouard Molinaro à la réalisation, un choix proposé par Darc. Delon incarne Pierre Nioxe, quadragénaire antiquaire, renommé et fortuné. Avec environ 730 000 spectateurs en France, le film ne parvient pas à couvrir ses coûts.

Percevant cette décennie comme gangrenée par la corruption, Delon lance Mort d'un pourri, adaptation d'un roman du journaliste Jean Laborde, connu pour ses écrits sur la corruption politique et les dérives d'une partie de la police. Le récit s'inspire d'un fait réel : l'affaire Aranda, scandale de corruption d'élus par le secteur de la construction. Il fait appel Lautner, qu'il dépêtre de difficultés avec la société de production en faillite d'André Génovès. Le scénario est élaboré par Lautner avec l'aide non créditée de Claude Sautet et Robin Davis ; les dialogues sont de Michel Audiard. Delon, producteur du film, apporte la majeure partie du financement. Le film repose sur l'amitié entre un député corrompu assassiné et un homme droit décidé à le venger. La majorité des personnages évoluent dans un univers corrompu, à l'exception du protagoniste principal et d'un commissaire. Delon affronte un homme d'affaires incarné par Klaus Kinski. Mort d'un pourri attire plus de 1,8 million de spectateurs, se plaçant parmi les quinze films les plus vus de l'année. Delon est nommé au César du meilleur acteur mais Jean Rochefort remporte le prix pour Le Crabe-Tambour (rôle que Delon avait refusé). Il s'agit de sa dernière collaboration avec Maurice Ronet, Georges Lautner, Michel Audiard et Mireille Darc.

En 1978, Delon s'implique financièrement dans la production d'un film anglo-canadien intitulé Power Play, réalisé par Martyn Burke. Inspiré d'un roman de l'expert en stratégie Edward Luttwak, le film aborde le thème d'un coup d'État dans un État fictif autoritaire. Le film rencontre un échec commercial. Dans un tout autre registre, Delon poursuit sa carrière d'acteur avec Attention, les enfants regardent, projet à travers lequel il entend dénoncer les dérives potentielles de la télévision. Le scénario repose sur un roman de Laird Koenig et met en scène quatre enfants livrés à eux-mêmes dans une villa de la Côte d'Azur pendant l'absence de leurs parents. Après un accident fatal impliquant leur gouvernante, les enfants choisissent de dissimuler les faits, influencés par les comportements télévisés qu'ils reproduisent. Delon choisit de produire et d'interpréter un rôle secondaire ; la réalisation est confiée à Serge Leroy. Le film sort en avril 1978 et est interdit aux moins de 13 ans ; il ne rencontre pas le succès escompté.

Sur un texte adapté par Pierre Salinger, Delon assure la narration française d'Il était une fois l'Amérique, documentaire produit pour le bicentenaire des États-Unis, qui compile des extraits de films emblématiques répartis en cinq grandes thématiques (Charlton Heston assure la version originale). Par ailleurs, en , pour l'émission Numéro un consacrée à Annie Cordy, il interprète avec la chanteuse un extrait du Bel Indifférent de Jean Cocteau, campant un homme silencieux face aux vaines sollicitations de sa compagne.

La série cinématographique Airport s'inscrit parmi les succès populaires des années 1970. Après Airport, 747 en péril et Les Naufragés du 747, le quatrième volet, The Concorde… Airport '79, est mis en scène par David Lowell Rich. Pour ce projet, Jennings Lang, alors vice-président d'Universal, souhaite mettre à l'honneur le Concorde, symbole de l'aéronautique européenne. Le scénario imagine un Concorde appartenant à la compagnie fictive World Airlines, chargé d'assurer un vol entre Washington et Moscou, transportant les délégations olympiques américaine et russe. Jennings Lang sollicite Alain Delon pour incarner le pilote du Concorde, rôle censé séduire les spectateurs français et asiatiques. Le tournage débute au Bourget avec le Concorde mis à disposition par Air France, appareil ayant effectué son vol inaugural le 31 janvier 1975. Doté d'un budget de 15 millions de dollars dont quatre alloués aux effets spéciaux, la production est un échec. Il récolte 13 millions de dollars aux États-Unis, bien loin des 100 millions du premier Airport. Renommé Airport 80 Concorde en France, il attire moins d'un million de spectateurs. La critique, tant cinématographique qu'aéronautique, fustige le scénario et les invraisemblances techniques ; ce quatrième opus met fin à la saga.

En fin de décennie, Delon réfléchit à son image publique et envisage un retour au registre sentimental : le roman Harmonie ou les horreurs de la guerre de Jean Freustié est retenu. Pascal Jardin en écrit une adaptation, mise en scène par Pierre Granier-Deferre. Le tournage se déroule à l'automne 1978 dans plusieurs camps militaires. Le film, rebaptisé Le Toubib, se veut une dénonciation de la guerre. Delon y interprète un chirurgien militaire au caractère dur mais humain. La sortie du film rassemble 1,7 million de spectateurs, un chiffre en dessous des attentes de Delon, qui visait une compétition internationale. Par ailleurs, Albert R. Broccoli, producteur de la franchise James Bond, aurait approché Alain Delon durant le tournage des scènes d'intérieur du film Le Toubib, réalisé aux studios de Boulogne-Billancourt. À ce moment-là, dans les studios voisins, se tourne Moonraker avec Roger Moore dans le rôle de l'agent 007. Moore envisage alors de quitter cette franchise et Broccoli aurait vu en Delon un éventuel successeur. Cependant, Roger Moore choisira de poursuivre pour encore trois épisodes supplémentaires. De ce fait, la proposition adressée à Delon n'aura pas de suite.

Un nouveau protagoniste fait son apparition dans Trois Hommes à abattre : Michel Gerfaut, joueur de poker et ancien militaire sous-lieutenant de réserve. Son erreur : venir en aide à un homme grièvement blessé, trouvé sur une route isolée. Gerfaut, soupçonné d'avoir entendu des propos compromettants du mourant, devient la cible de tueurs : plutôt que de fuir, il décide de se défendre. Delon, qui revient au polar après le succès de Mort d'un pourri s'implique activement dans le scénario avec Christopher Frank. La réalisation est confiée à Jacques Deray ; il s'agit là de leur septième collaboration. Le casting s'appuie sur plusieurs seconds rôles expérimentés et la coproduction impose la présence d'une actrice italienne. Deray se rend à Rome et sélectionne Dalila Di Lazzaro, ex-mannequin ayant déjà tourné avec Marcello Mastroianni. Delon participe aux cascades, orchestrées par Rémy Julienne, comme dans Mort d'un pourri. Le film attire 2,1 millions de spectateurs en France, seuil que Delon n'avait pas atteint depuis Deux Hommes dans la ville sept ans plus tôt.

Au début des années 1980, avant les réformes annoncées sous les noms de glasnost et perestroïka, l'Union soviétique manifeste une discrète volonté d'ouverture vers l'Ouest, en particulier à travers les arts : le cinéma devient un levier de cette politique. À présent, l'attention des autorités soviétiques se tourne vers l'Europe. Un projet ambitieux est lancé : un thriller d'espionnage susceptible de plaire à un large public européen. Le scénario imagine un complot visant Churchill, Roosevelt et Staline durant la conférence de Téhéran en 1943. L'intrigue, conçue pour s'étendre à plusieurs pays, inclut la France. Conscients de la nécessité de têtes d'affiche internationales, les producteurs sollicitent Curd Jürgens en Allemagne et Claude Brasseur en France. Ce dernier se désistant, ils approchent finalement Alain Delon, qui accepte le rôle. Le film Téhéran 43, nid d'espions, dont l'action débute à Paris, connaît un accueil très discret en France, mais attire 47,5 millions de spectateurs en URSS.

Le 30 décembre 1980, Mireille Darc est victime d'un malaise cardiaque sévère. Le diagnostic établi est un rétrécissement mitral, dû à une malformation congénitale, nécessitant une opération à cœur ouvert. Alain Delon prend personnellement en charge la protection de sa compagne. Douze jours après l'intervention, Darc regagne son domicile, situé près de celui de Delon, quai Kennedy.

Films de « flic », réalisations, explorations

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